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un refus péremptoire, la moribonde dut subir avec elle-même un combat cruel[1]. Je regrette un tel acte d’autorité ; j’estime que le cardinal de Bonald eût chrétiennement agi en laissant Mme Garnier, — une sainte, — mourir avec la croix de saint François de Sales entre les mains, et je pense que la place de cette relique était non pas dans le trésor de la cathédrale du primat des Gaules, mais dans la petite chapelle de l’hospice des Dames du Calvaire. Mme Garnier avait fait assez de bien au cours de sa vie, pour qu’on ne lui fît point de mal à l’heure de sa mort.

Deux ou trois jours après la violence morale qui avait été exercée sur elle, le 28 décembre 1853, Mme Garnier mourut. L’impulsion qu’elle avait donnée à son œuvre était si forte, que, loin de s’affaiblir, elle sembla recevoir une vibration plus puissante, car chacun rivalisa de dévoûment pour remplacer celle qui n’était plus. C’est là le fait des fondations de charité qui, s’appuyant sur une foi d’autant plus active qu’elle est plus sincère, correspondent à l’un des besoins impérieux que créent la cruauté de la nature et l’indifférence des hommes. Il suffit d’avoir conçu une œuvre pareille, pour qu’elle soit, en quelque sorte, obligée de naître, de prendre corps, de s’accroître, car les misères l’assaillent et la contraignent à se développer, fût-ce au prix de sacrifices et de labeurs sans cesse renouvelés. Pour certains cœurs haut placés, l’exercice de la charité devient une nécessité tyrannique, à laquelle on ne peut se soustraire. On n’est jamais quitte envers la bienfaisance, parce que l’on reconnaît que la souffrance ne se tient jamais quitte envers l’espèce humaine. On a beau redoubler d’efforts et d’activité, on ne sait où courir, car de tous les coins de l’horizon, de toutes les mansardes, de toutes les soupentes, de tous les grabats, on s’entend appeler. On loue une chambre, puis un appartement, puis une maison : on parvient enfin à construire un hospice ; on n’a repoussé aucune infortune, on a vécu de privations et de dégoûts, afin d’apaiser les chairs dolentes et les âmes aigries ; on a si impitoyablement rudoyé son existence, que l’existence vous abandonne, et lorsqu’à l’instant suprême on ne forme plus que le vœu de mourir en baisant une croix vénérée, un prince de l’église vous l’arrache des lèvres : c’est dur !


II. — L’HOSPICE DE LA RUE LOURMEL.

L’œuvre se développa aux lieux mêmes de sa naissance, et l’on put croire un moment qu’elle resterait confinée sur sa colline, dans

  1. Les Veuves et la Charité, par l’abbé Chaffanjon, p. 151.