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put recueillir ; pour le reste, on prit des engagemens qui furent régulièrement tenus. On était propriétaire du clos, on avait de quoi bâtir et l’on se mit au travail.

À mesure que l’œuvre grandissait, Mme Garnier sentait s’élargir la mission de bienfaisance dont elle était l’apôtre. Non contente de ramasser des incurables, elle voulut rechercher les cancers de l’âme et les guérir. Puisque l’on allait avoir de la place, pourquoi ne pas ouvrir un refuge aux filles perdues que la débauche a lassées et qui peut-être n’ont besoin que de quelques secours moraux pour rejeter, toute bestialité et reprendre rang parmi les créatures humaines ? Comme Mme de Beauharnais de Miramion au XVIIe siècle, comme aujourd’hui les Dames du Bon Pasteur, elle eût voulu avoir sous sa houlette le troupeau des filles repenties et ramener dans les voies droites toutes les brebis égarées. Ç’a été là le rêve de plus d’un grand cœur, et de cruelles désillusions ont atteint ceux qui ont tenté de le réaliser. Lorsque Mme Garnier fit confidence de ce nouveau projet aux Dames du Calvaire, elle se heurta contre d’invincibles et justes objections ; elle céda, ou, pour mieux dire, elle sembla céder. La charité est naturellement entêtée, elle a si souvent triomphé des obstacles qu’elle n’en veut tenir compte ; elle s’obstine, elle persiste ; elle excelle à se dérober aux observations, et, s’il le faut, elle se cache pour faire le bien, comme on se cache d’une action mauvaise. Dans ses courses à travers les misères, lorsqu’elle plongeait aux bas-fonds de la perversité, elle avait découvert une fille plus fatiguée ou moins rebelle que d’autres, qui avait semblé écouter ses paroles avec douceur. Il n’en fallut pas davantage pour faire croire à Mme Garnier qu’il y avait là une âme que l’on pouvait purger de toute corruption. Elle emmena cette fille avec elle au Calvaire, n’en souffla mot, l’enferma dans sa propre chambre, et, à force de soins maternels, d’encouragemens et de tendresse, s’imagina qu’elle parviendrait à l’arracher au vice. La conversion n’était point du goût de la pécheresse, qui, un beau jour, sauta par la fenêtre, décampa et reprit la clé des champs, la clé de la débauche et de la dégradation. Aventure qu’il était facile de prévoir et qui attrista Mme Garnier, mais qui, du moins, eut ce bon résultat de lui démontrer par l’expérience même que son projet était de ceux auxquels il est sage de renoncer. Les Dames du Calvaire n’eurent donc à soigner que les cancers matériels ; cela est suffisant.

L’installation nouvelle était terminée ; de grands dortoirs, un jardin, des ombrages, de l’air et du soleil donnaient à l’hospice une ampleur et des facilités de service que l’on ne connaissait pas encore ; on en prit possession le 2 juillet 1853 ; là, on était chez soi, sur son terrain, dans sa maison ; la fondatrice put se réjouir et espérer que