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L’ambassadeur de Suède, à Paris, Grotius, s’était non moins vivement plaint d’un mouvement de retraite qui mettait en péril l’armée de son souverain. Mazarin comprit alors, ce qu’il aurait dû prévoir de longue date, les conséquences de l’inévitable retraite de notre armée d’Allemagne : l’Alsace arrachée à la France ou se détachant d’elle ; nos alliés écrasés ; nos ennemie se saisissant de places et de territoires pour que leurs négociateurs aient les mains pleines à Munster et ferment la bouche aux nôtres. Il se hâta de prescrire la formation sur la Meuse d’un corps de huit à neuf mille hommes destiné à marcher immédiatement vers le Rhin. Le duc d’Anguien devait le conduire ; une fois réuni à Guébriant, il était autorisé à prendre le commandement en chef ; le maréchal avait déclaré d’avance qu’il était prêt à lui obéir en tout. Les ordres de détail sont contenus dans un groupe de lettres royales datées du 8 au 10 septembre. Tout y est prévu : organisation du commandement, mouvemens de troupes, itinéraires, subsistances, jusqu’à la recommandation de faire cuire fortement le pain pour qu’il puisse être conservé plusieurs jours sur les voitures. Ce fut vite et bien ordonné, mais il aurait fallu, s’y prendre six semaines plus tôt.

Ces instructions furent remises à Tracy, qui dut partir de Paris le 12 ou le 13 (septembre). Un avis à mots couverts avait été confié le 8 au marquis de Noirmoutiers[1], qui ne paraît pas avoir rejoint M. le Duc, et la première nouvelle qu’eut ce dernier des résolutions prises sur les affaires d’Allemagne lui fut donnée par Tracy. Il était sur le grand chemin, à quelques lieues de Paris ; il continua sa route, ne pouvant mieux faire ; le messager de Guébriant revint sur ses pas avec lui. Arrivé ; à Paris vers le 18, le jeune prince s’appliqua aussitôt à se bien pénétrer des intentions du conseil et à se mettre en mesure de les remplir. Dès le 25, le roi, sans nommer l’Allemagne, tant on était effrayé de l’effet que ce mot fatidique produisait sur les esprits, adressait une instruction définitive à M. le Duc « allant vers la Sarre » et confirmait « tout ce qui lui a été dit de vive voix depuis qu’il est de retour par-deçà. » Le but que se proposait le conseil de sa majesté était de permettre à Guébriant de prendre ses quartiers au-delà du Rhin et « d’occuper l’armée de Bavière à l’avantage de cette couronne et de ses alliés. » Mais les instructions allaient bien plus loin et traçaient un plan de campagne dont l’exécution aurait exigé une saison tout entière et des forces considérables.

  1. Noirmoutiers (Louis de La Trémoille, marquis, puis duc de), né en 1612, maréchal de camp attaché à l’armée d’Allemagne par brevet du 26 mai 1643, commanda une des quatre attaques au siège, de Rottweil. Lieutenant-général en 1650, mort en 1666.