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jusqu’à la suspension des traitemens. Bien entendu, les fonctionnaires civils ne sont ici que pour la forme, on n’en est pas encore là ; il ne s’agit que des évêques, des curés, des desservans, qu’on veut frapper, et, en réalité, le gouvernement n’y manque pas. Il suspend chaque jour des traitemens, — toujours pour venger l’infaillibilité de M. Paul Bert. Voilà cependant comment on travaille à la paix religieuse ! Ce n’est pas le seul fait du moment. Le conseil municipal de Paris poursuit sa triste campagne contre tout ce qui est religieux. S’il pouvait effacer le nom de Dieu des livres d’enseignement, il le ferait, au risque du ridicule dont il se couvre. Il a chassé tous les emblèmes religieux des écoles, il a chassé les frères de leurs maisons, il a chassé les sœurs de charité ; il a plus d’une fois cherché à chasser les aumôniers des hôpitaux. Jusqu’ici le gouvernement s’était refusé à laisser passer cette odieuse mesure qui ne respecte pas même la liberté de la foi chez des malades, chez des mourans. Le ministère vient de se résigner ; il a fait la volonté du conseil municipal, il a sanctionné l’expulsion des aumôniers ! Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, lorsque toutes ces belles choses s’accomplissent, les républicains ont à tout propos une réponse invariable. Si on supprime le traitement des prêtres, on ne fait qu’user d’un droit qu’avait l’ancien régime sur le temporel ecclésiastique ! Si on chasse les religieux, Napoléon les chassait aussi ! Si on se sert des moyens administratifs, des ressources de l’état dans des intérêts électoraux, tous les autres régimes en ont fait autant ! S’il y a des déficits dans les finances, tous les gouvernemens ont eu des déficits ! Il paraît que cela suffit. Mais alors il faut le dire, il faut avouer que la république est instituée pour se servir de tous les moyens arbitraires des anciens gouvernemens dans l’intérêt des passions de parti et de secte. Avec tout cela cependant, à quoi arrive-t-on ? On finit par créer cette situation troublée où nous sommes, par irriter les consciences, par décourager la confiance, par détacher de la république les esprits désintéressés et sincères. Et voilà encore un résultat de la politique telle que les républicains du jour l’entendent !

Dans ce mouvement des choses qui nous entraîne, qui va on ne sait où, la mort, en multipliant ses coups, semble vouloir nous prouver à sa manière que tout change, que des belles années du siècle il ne restera plus bientôt qu’un souvenir. Elle nous a enlevé ces jours derniers encore le meilleur des hommes, un parfait écrivain qui a été l’honneur des lettres françaises dans notre temps. Jules Sandeau s’est éteint lentement, doucement, aimé et regretté de tous pour son talent, pour son caractère, pour toutes les qualités séduisantes de sa rare nature. Il s’est éteint à soixante-douze ans après une vie simple et laborieuse, toute remplie d’œuvres d’élite.

L’histoire de ce cher mort d’hier n’est ni longue ni compliquée ; elle est tout entière dans ses livres, dans les créations charmantes qui ont