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a besoin d’avoir de libres et puissantes finances, qu’arriverait-il ? C’est alors qu’on verrait le danger de cette imprévoyance acharnée à épuiser d’avance, à engager les ressources publiques sous toutes les formes ordinaires et extraordinaires.

Le gouvernement, nous en convenons, ne laisse pas d’avoir parfois des doutes et de se sentir assez perplexe. M. le ministre des finances qui, livré à lui-même, serait peut-être de l’avis de ses contradicteurs, mais qui se croit obligé de pallier un peu le mal, M. le ministre des finances convient qu’on est allé trop loin, qu’on s’est « laissé illusionner ; » il ne cache pas qu’il y a des déficits, que toutes les ressources disponibles sont épuisées. M. le président du conseil, qui est intervenu l’autre jour à la chambre des députés, n’a point hésité à avouer qu’il serait peut-être prudent de « faire moins vite les travaux publics, » de fermer un peu la main pleine de cette « manne bienfaisante » des chemins de fer. Le gouvernement sent le mal, c’est possible. Qu’a-t-il à proposer ? Il propose de chercher une médiocre ressource dans la conversion qui vient d’être votée et de « modérer » l’exécution du plan de travaux publics ; mais il est trop clair que cela ne suffit pas, et le dernier mot de la sagesse financière, de la prévoyance patriotique, c’est M. Bocher qui l’a dit l’autre jour dans son décisif et lumineux exposé : « Il y a un moyen : celui que vous dictent la raison, le bon sens, l’expérience, que vous conseille le patriotisme. Ayez le viril courage de vous y résoudre. Plus d’expédiens financiers, plus de mesures illusoires et trompeuses ; des budgets sincères, réguliers, comprenant toutes les dépenses nécessaires et seulement celles-là ! Plus de budget extraordinaire, plus de budget d’emprunt ; ce nom seul le condamne ! » Oui, sans doute ; seulement de si viriles résolutions impliquent tout un changement de direction dans les affaires publiques ; elles ne sont possibles qu’avec une politique nouvelle ou rectifiée, et M. le président du conseil se tromperait étrangement s’il se figurait raffermir la situation générale du pays, refaire le gouvernement en se bornant à modérer quelques, prodigalités trop criantes dans les finances, en perpétuant dans le domaine moral et religieux ces guerres, ces violences irritantes qui se reproduisent sans cesse sous toutes les formes.

Qu’arrive-t-il en effet à cette heure même ? On a deux exemples sous les yeux. Le gouvernement s’est cru obligé de refuser à l’église le droit d’avoir une opinion sur des actes de la congrégation de l’index qui ont été publiés partout. Il ne s’est pas contenté de faire condamner par la juridiction administrative des évêques qui ont commis le crime de ne pas s’incliner devant l’infaillibilité de M. Paul Bert ; il a obtenu du conseil d’état un sorte d’avis ou de consultation lui attribuant une omnipotence à laquelle le pouvoir civil a prétendu tout au plus sous les régimes les plus absolus. D’après cela, le gouvernement aurait sur tous les fonctionnaires civils et, religieux un droit disciplinaire allant