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mencé à diminuer pour se changer bientôt en déficit de plus en plus accentué. Le déficit de 1882, dégagé de toutes les supputations vaines, sera au bout du compte de près de 250 millions. Celui de 1883 peut déjà être évalué à un chiffre égal, si ce n’est supérieur, d’autant plus qu’aux crédits supplémentaires, qui commencent à se multiplier, viennent se joindre dans les premiers mois des diminutions de recettes. Le déficit, on peut le dire d’avance, restera dans le budget de 1884 déjà proposé, puisqu’il n’y a aucun moyen régulier de l’éviter, puisque, dans les évaluations officielles, il n’y a qu’un chétif et illusoire excédent de 250,000 francs et qu’on n’a pas compté avec les dépenses imprévues. Le déficit est devenu la fatalité de nos budgets.

Comment donc tout cela s’est-il passé ? Comment en est-on venu là assez rapidement ? Ah ! c’est que, dans l’intervalle, la politique prétendue républicaine, disposant souverainement de la direction des affaires, a cru pouvoir se jeter sur les finances comme sur tout le reste, au risque de changer l’abondance qu’elle avait reçue en détresse. Elle a voulu ou elle a cru se populariser tantôt par des dégrèvemens mal conçus, tantôt par des multiplications d’emplois, par des augmentations de traitemens, par des pensions pour ses cliens, par ses prodigalités, c’est-à-dire par un incessant accroissement des dépenses publiques. Elle a si bien fait que le budget ordinaire, qui était, il y a six ans, de 2,780 millions, dépasse maintenant 3,100 millions. On va vite quand on ne compte pas ! Et ce n’est là encore qu’une partie de la situation financière. À côté du budget ordinaire, si rapidement grossi, on a ouvert ce budget extraordinaire renouvelé de l’empire, employé souvent à couvrir les dépenses de l’ordre le moins imprévu et alimenté par l’emprunt. Emprunt pour le plan trop fameux et surtout ruineux de M. de Freycinet ! Emprunts plus ou moins déguisés pour les écoles dont M. Jules Ferry veut faire des palais dans les villages ! Emprunts de l’état ! Emprunt des communes ! L’emprunt est devenu une institution permanente, quelque chose comme une planche aux assignats toujours prête. Oui, en vérité, dans un pays qui a subi il y a douze ans à peine d’effroyables désastres, qui a été obligé de payer 8 ou 10 milliards, on ne craint pas d’élever encore le capital de la dette de 8 ou 10 nouveaux milliards, sans raison pressante, le plus souvent par des calculs de parti ou dans des intérêts électoraux, de l’aveu d’un ancien sous-secrétaire d’état ! Tandis que les autres états, après leurs guerres ou leurs entreprises coûteuses, s’efforcent de refaire leurs forces, de regagner ce qu’ils ont perdu ; tandis que les États-Unis ont déployé une énergie extraordinaire pour éteindre leur dette de la guerre de sécession ; tandis que l’Angleterre amortit chaque jour, la France seule est mise à ce régime de l’emprunt continu. Et si malheureusement, sur ces entrefaites, il y avait une de ces crises dont il faut éloigner la pensée, qui sont néanmoins toujours possibles, — où un pays comme la France