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aurait pu arriver, il y a quelques années, ne se réalise que dans une situation embarrassée, comme cela arrive aujourd’hui ; lorsqu’elle est détournée de sa destination ou ne sert plus à une atténuation des charges publiques, la mesure change d’aspect. Ce n’est plus rien ; ce n’est plus, comme M. Bocher le disait l’autre jour avec sa vive et nerveuse éloquence au sénat, qu’un médiocre expédient budgétaire, « la ressource d’un gouvernement nécessiteux qui s’est laissé acculer successivement au déficit et qui recourt, pour en sortir, aux petits moyens, n’osant pas employer les grands, » Encore si ces « petits moyens » suffisaient a demi, s’ils pouvaient refaire un certain équilibre ! Mais ces 33 ou 34 millions ne sont aujourd’hui qu’une ressource presque imperceptible ; ils ne représentent qu’une bien faible partie des besoins du budget, et c’est ici précisément que cette conversion récemment accomplie se rattache à toute une situation financière assez grave pour ne pouvoir être ni relevée ni même allégée par un assez vain palliatif, par ce qui n’est plus qu’un expédient de circonstance.

On ne peut plus, en effet, avoir aucune illusion après les derniers débats des chambres. La vérité est qu’en quelques années la situation financière de la France a singulièrement changé, qu’elle est devenue assez sérieuse, assez critique pour fixer toutes les préoccupations, — et ces quelques années représentent justement le règne de la politique prétendue républicaine. On épiloguera tant qu’on voudra, les faits sont là, cruellement évidens, palpables, avec leur moralité qui éclate dans le contraste entre deux momens de notre histoire. Lorsqu’il y a cinq ou six ans, le parti républicain arrivait définitivement au pouvoir, qu’il n’a plus cessé d’occuper sans partage, il trouvait un état financier qu’on pouvait certes appeler florissant après les épreuves que la France venait de traverser, dont elle avait porté le poids sans fléchir. Depuis 1871, on avait pu suffire à tout, aux charges des emprunts de guerre, à un commencement de réorganisation de l’armée, à la reconstruction du matériel militaire, à la fortification de la frontière et de Paris, à la liquidation de la dette contractée avec la Banque de France. Le budget, si lourd qu’il fût, était assez fortement constitué pour rester en équilibre, et même plus qu’eu équilibre. Déjà les plus-values d’impôts dépassaient toutes les prévisions, — de sorte qu’on restait avec des excédens dont on pouvait disposer, soit pour des dégrève-mens gradués, soit pour des travaux prudemment conduits. C’était bien là aussi un résultat, — le résultat d’une politique suivie depuis 1871 avec autant d’abnégation que de patriotisme, acceptée en définitive par le pays, qui retrouvait ses forces après ses désastres. Ce n’était pas encore, il est vrai, la politique dite républicaine. — Où en est-on aujourd’hui ? Les résultats, il faut l’avouer, ne sont pas tout à fait les mêmes. On peut suivre d’année en année cette singulière et inquiétante progression en sens inverse. Depuis 1879, les bonis ont com-