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empressemens ne mette leur fierté à sa merci. En tout cas, si leur politique a été habile, nous ne dirons pas, comme l’un de leurs partisans, que c’est là « de la belle politique, » à moins qu’il ne faille en juger comme le philosophe qui trouvait fort belle une poésie médiocre parce que l’auteur avait atteint son but. Le lendemain, ce philosophe prit une médecine qui lui fît du bien et la rigueur de sa logique l’obligea de déclarer que, puisqu’elle avait atteint son but, c’était une belle médecine.

On a discouru sur la triple alliance dans la plupart des capitales de l’Europe, à Berlin, à Rome, à Vienne, à Pesth. Partout on a dit à peu près les mêmes choses ; mais le langage, le ton, la voix, le geste, les airs de tête, tout différait. A Berlin, on a paru se proposer de nous faire rentrer en nous-mêmes, de nous donner une de ces mortifications salutaires qui servent à l’amendement du pécheur et lui inspirent d’utiles réflexions ; peut-être aussi désirait-on nous faire comprendre que notre nouveau ministère n’est pas vu d’un œil favorable par le prince-chancelier, que nous n’avons pas tenu assez compte de ses préférences et de ses goûts. A Rome, le ministre des affaires étrangères n’a eu garde de nous morigéner. Il a laissé à M. le comte Cadorna, qui jadis trouva un refuge chez nous, le soin de nous dire notre fait, de cous signifier que nous sommes d’incorrigibles brouillons, que les peuples sages, paisibles, désintéressés et vertueux n’auront de repos que le jour où le coq gaulois ne chantera plus. Mais si M. Mancini s’est abstenu de toute parole malsonnante qui aurait pu nous blesser, il n’a pas cherché à dissimuler l’épanouissement de sa joie ; son attitude n’était point modeste, il avait l’air d’un messager de bonnes nouvelles qui s’écrie : « Qu’ils sont beaux sur la montagne les pieds de celui qui apporte la paix ! » Il y avait dans son éloquence un accent d’allégresse triomphante, c’était un discours de mardi gras, bien propre à humilier notre face de carême, à nous faire sentir la médiocrité de notre situation, et que l’Europe célébrait une fête dont nous payions les violons. M. Tisza a tenu à la chambre des députés de Pesth un langage bien différent. Il a paru désireux de nous rassurer, de dégonfler les ballons italiens, de mettre la sourdine à des prétentions trop bruyantes qui lui causaient de l’humeur : « N’allez pas prendre la mouche ni vous mettre martel en tête, a-t-il semblé nous dire. Méprisez les vains caquets, il faut en rabattre ; on s’exalte, on s’agite beaucoup pour peu de chose. En ce qui nous concerne, soyez convaincus que nous n’aurions garde de nous associer à des manœuvres dont la France aurait à souffrir, que nous lui voulons beaucoup de bien, que nous tenons à entretenir avec elle les plus amicales relations. » Quelques jours plus tard, les journaux officieux devienne déclaraient qu’il n’y avait rien de vrai dans certains bruits qui avaient couru, que les trois puissances ne s’étaient point liées par un pacte écrit, qu’il ne s’agissait ni d’une