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la colonne de la place Vendôme n’eut pas du tout dans la vie du poète l’importance particulière qu’il lui a plu d’y donner dans son Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. L’ardeur de son bonapartisme naissant ne détourna de Victor Hugo ni les sympathies ni les faveurs mêmes de la cour et du parti royaliste. Car, bien loin de déplaire, il ne fut, ce jour-là, que le retentissant et magnifique écho de l’indignation qui s’empara de tous les cœurs français quand on apprit qu’à une réception de l’ambassadeur d’Autriche, les ducs de Dalmatie et de Reggio s’étaient vu refuser des titres qui faisaient partie du patrimoine de la gloire nationale. Rappelons enfin les pages où M. Biré nous a mis au courant des supercheries littéraires, additions, suppressions, altérations de ses anciens articles et de ses anciens discours que le poète s’est laborieusement imposées, pour essayer de mettre dans sa vie politique une suite, une logique, une unité dont on l’eût si facilement dispensé ! La vie politique de Victor Hugo ! quel est l’historien qui s’en souciera dans l’avenir ? et quel est l’admirateur sincère du poète qui ne lui eût rendu bien volontiers cet hommage de la passer sous silence ?

Mais où nous ne suivrons pas M. Biré, c’est dans la conclusion qu’il a cru de voir donner à son. livre, et qui, portant sur l’œuvre de Victor Hugo tout entière, dépasse ainsi de beaucoup ses prémisses. Je crois bien qu’il a raison, et, dans l’ensemble, je souscrirais volontiers à son jugement. Mais, en critique, ce n’est pas tant le dispositif, c’est les considérans du jugement qui importent. Or, ce n’est pas assez de Han d’Islande et de Bug Jargal pour pouvoir porter un jugement sur l’auteur de Notre-Dame de Paris et des Misérables ; ce n’est pas assez des Odes et des Orientales pour pouvoir porter un jugement sur l’auteur des Contemplations et de la Légende des siècles ; est-ce même assez de Marion Delorme et d’Hernani pour pouvoir porter un jugement sur l’auteur de Ruy Blas et des Burgraves. Ces considérans incomplets suffisent même ici d’autant moins que, dans la partie biographique de ce Victor Hugo avant 1830, M. Biré s’est appliqué plus consciencieusement, et plus heureusement, à rompre l’unité tout artificielle que le poète s’est efforcé de donner à sa vie. Si M. Biré a clairement montré quelque chose, c’est que le Victor Hugo d’avant 1830 différait étrangement du Victor Hugo d’après la révolution. Mais alors, comment peut-il juger du Victor Hugo d’après la révolution sur ce qu’il ne nous a dit que du Victor Hugo d’avant 1830 ? Cependant, et quoique ne voulant pas, pour beaucoup de raisons, discuter le jugement de M. Biré, il en est un point que nous ne pouvons absolument pas lui accorder, c’est quand il croit avoir fait beaucoup d’établir que Victor Hugo n’aurait été nulle part ce qu’il appelle « un novateur. »

M. Biré nous rappelle un mot bien connu de Voltaire : « Les novateurs ont à juste titre le premier rang dans la mémoire des hommes, » et en effet Voltaire l’a dit, mais il ne l’a pas prouvé. S’il eût essayé