Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, fille d’un paisible armateur de Nantes, ne quitta, de 1793 à 1796 (qu’elle vint à Paris épouser le capitaine Hugo) ni la ville natale, ni le toit paternel. Se trompe-t-il moins sur lui-même ? — Il nous raconte qu’en 1817, ayant concouru pour le prix de poésie, l’Académie française, ne pouvant pas croire aux « trois lustres » qu’il se donnait ; ne lui décerna qu’une simple mention, au lieu du prix dont la pièce aurait d’abord été jugée digne. — Erreur ! nous dit M. Biré ; le rapport de Raynouard est là pour nous apprendre que, bien loin d’être d’abord jugée digne du prix, la pièce fut d’emblée classée la neuvième, et que les « trois lustres » du précoce auteur lui nuisirent si peu qu’au contraire ils furent son principal titre à la bienveillance de l’Académie. « Si véritablement il n’a que cet âge, dit le rapport en propres termes, l’Académie lui a dû un encouragement. » — Il nous raconte ailleurs que trois ou quatre ans plus tard, après la lecture de l’une de ses premières odes, Chateaubriand l’aurait salué du nom d’Enfant sublime, et même il spécifie que le mot, devenu depuis classique, se trouverait au long dans une note du journal le Conservateur. — Illusion ! répond encore M. Biré ; ni la note, ni même le mot ne sont dans le Conservateur, comme le veut le poète ; ils ne sont pas davantage dans la Quotidienne, comme l’a supposé Sainte-Beuve ; ils ne sont pas non plus dans le Drapeau blanc, comme l’a cru Mme Hugo : Drapeau blanc, Quotidienne et Conservateur, je viens en effet tout exprès d’en fouiller les collections. — D’autres erreurs, moins graves, et dont on voit d’abord moins clairement l’intention, ne sont pas moins plaisantes. On ne s’explique pas pourquoi l’auteur de Ruy Blas et d’Hernani s’attribue, comme un Plan de tragédie fait par lui jadis au collège, l’analyse du Phocion d’un certain Corentin Royou. On s’explique mieux, j’en conviens, pourquoi de nos jours même, après Notre-Dame et les Misérables, il persiste à revendiquer la prose de François de Neufchâteau comme sienne, et se donne pour l’auteur de l’Examen de la question de savoir si Le Sage est l’auteur de Gil Blas, ou s’il l’a pris de l’espagnol : c’est qu’il a de tout temps affecté de grandes prétentions à l’érudition. Mais je crains que malheureusement on ne s’explique trop bien pourquoi, dans son autobiographie, le nom même des témoins de son mariage est sorti de sa mémoire ; il les nomme Ancelot et Soumet ; ce furent, en réalité, Biscarrat et Alfred de Vigny. Or il y a eu un temps de ce siècle où la réputation du poète d’Eloa porta on ne sait quel ombrage à la gloire du poète des Orientales et des Feuilles d’automne. La preuve en est dans l’étrange substitution qu’il a faite, en 1834, du nom et du poème de Milton au poème et au nom d’Alfred de Vigny dans un fragment où jadis il avait fait d’Eloa le plus retentissant éloge : « Il ne s’est pas aperçu, dit avec raison M. Biré, qu’en se servant de ce petit subterfuge pour ne pas rappeler Eloa, il grandissait singulièrement ce poème, et qu’en voulant abolir jusqu’au nom d’Alfred