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Le censeur patriote qui a eu l’audace de dénoncer de tels abus est certainement digne d’être loué. Quant à être écouté, c’est une autre affaire. Il y a dans l’armée chinoise, forcément disséminée sur une étendue de 330 millions d’hectares, — soit six à sept fois celle de la France, — trop de mandarins militaires, de colonels, de généraux, voire de maréchaux intéressés au maintien de ce qui existe pour qu’il y soit jamais fait un changement sérieux. Non, ce ne sont pas de tels soldats qui tiendront en échec ceux que commande à Hannoï le commandant Rivière, et qui pourront jamais être un obstacle sérieux au développement de notre influence dans l’extrême Orient.


IV

Mais quelle politique devons-nous suivre à l’égard de la Chine pour éviter des complications ? Il n’en est qu’une : cesser la politique d’indécision que nous avons au Tonkin depuis 1874 et qui nous a rendus la risée de l’Orient ; ne pas laisser un seul moment de plus, — comme nous l’avons fait et cela au risque de compromettre notre belle colonie de Cochinchine et le prestige de notre pavillon, — le commandant Rivière au centre d’un pays ennemi, sans moyen d’agir et sans instructions précises.

Dans le discours que l’honorable M. Challemel-Lacour a prononcé ces jours-ci au sénat, il semble que l’on veuille agir au Tonkin avec plus d’énergie que par le passé, ce qui ne sera pas difficile ; et, bien que les mesures que l’on paraît devoir prendre ne soient pas de celles qui conduisent à une possession définitive du pays, mais à une annexion bâtarde comme celle du Cambodge, nous ne nous sentons pas disposés à critiquer une solution qui montre du moins que le ministère actuel a des projets arrêtés. Nous n’y sommes plus accoutumés et il lui faut savoir gré de ce retour aux bonnes traditions.

Il y aurait, de l’avis de personnes au courant des finesses asiatiques, un moyen pratique d’éviter un refroidissement avec la Chine, tout en satisfaisant le roi Tu-Duc. Ce serait d’établir au Tonkin des douanes à l’instar de celles que les Chinois installent en ce moment en Corée, avec un personnel moitié annamite et moitié français, puis, en donnant au souverain de l’Annam une large part sur les produits des taxes douanières, l’intéresser au développement de notre influence et de notre commerce. Tu-Duc, voyant la France remplir son trésor vide, n’aura plus aucune raison de conspirer contre nous,