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pugilat qui ne font pas prospérer la cause. On s’est jeté dans cette campagne avec une certaine jactance, en commençant par injurier tous ceux qui refusaient d’admettre la nécessité d’une réforme constitutionnelle immédiate et radicale ; on est bientôt arrivé au désarroi, aux divisions dans le camp révisionniste lui-même. Bref, le mouvement a échoué sous cette forme de l’agitation légale comme il a déjà échoué sous la forme des manifestations tumultueuses. Les chefs de la ligue révisionniste ne veulent pas l’avouer sans doute, ils ne se découragent pas, ils se promettent plus de succès pour l’avenir ; ils ne se sentent pas moins vaincus ou déconcertés par cette résistance passive de l’opinion qui répond par l’indifférence à toutes les excitations. Voilà le fait clair et certain, tel qu’il apparaît dans cette courte trêve parlementaire, dans ces momens de répit où le sentiment public, vainement sollicité par les manifestations et les manifestans, se montre simplement tel qu’il est.

La moralité de cette situation, c’est que le pays laissé à Iut-même a évidemment peu de goût pour tout ce qui peut l’agiter, pour les troubles des rues, pour les bruyantes campagnes des partis, pour les luttes violentes et inutiles. Le pays a naturellement le goût de l’ordre, sans lequel il n’y a ni travail, ni industrie, ni société régulière. Il le montre en toute occasion et lorsqu’il sent que cet ordre, auquel il tient, perd de ses garanties, est altéré ou menacé par la faute de ceux qui le conduisent ou qui ont la prétention de le conduire, il commence par se replier en lui-même, il se défie de tout. Il éprouve ces indéfinissables malaises qui depuis quelque temps se manifestent sous bien des formes, qui, en se prolongeant, créent une sorte de crise morale et politique des plus graves. M. le président du conseil disait il y a quelques semaines aux radicaux révisionnistes qu’ils ne connaissaient pas la grande masse nationale, que cette masse était affamée de repos, de sécurité, de stabilité, qu’elle désirait avant tout voir s’élever un gouvernement assez fort pour la rassurer contre tous les désordres, pour lui inspirer confiance. M. le ministre de l’intérieur, qui est, lui aussi, pour le gouvernement fort, a fait ses preuves contre l’émeute. M. le ministre de l’agriculture, le plus pacifique des ministres par destination, disait l’autre jour devant son conseil-général des Vosges que l’immense majorité de l’opinion réclamait la réalisation d’un programme qui pouvait se résumer en ceci : « Écarter les questions stériles et irritantes, celles qui divisent et qui ont fait tout le mal, pour revenir aux lois fécondes, aux lois positives et pratiques qui intéressent directement la prospérité et la grandeur du pays. » C’est fort bien. On a donc ce sentiment que beaucoup de mal a été fait depuis quelques années, que la sécurité, la stabilité ont subi de rudes atteintes, et on comprend aussi ou l’on a l’air de comprendre que le pays, plus sage que ceux qui ont été chargés de ses affaires dans ces derniers temps, en a assez des