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En même temps qu’il se montre plus avare, Frédéric est aussi plus despote, plus tatillon. Il descend jusqu’à écrire dans la gazette pour critiquer un acteur dont il veut se débarrasser ; il distribue les rôles à sa guise, demande des modifications aux compositeurs et supprime les chœurs d’Athalie. « Quoiqu’ils fassent une des principales parties de la tragédie, je veux cependant m’en passer. La musique française ne vaut rien. Il faut faire déclamer le chœur, alors cela revient au même. » Quand il ordonne qu’on surveille de près les chanteuses qui veulent s’échapper et faire, comme il dit, « un trou à la lune, » il est sans doute dans son droit, mais il devient odieux et ridicule le jour où, la Mara, — la seule cantatrice allemande que jusque-là il ait supportée, — étant vraiment malade ou feignant de l’être et se disant empêchée de figurer à la représentation du soir, il la fait arracher de son lit et emmener de force sur la scène, où des soldats se tiennent à ses côtés pour l’obliger de chanter.

Tels sont les excès auxquels il arrive à la fin de son règne, et dès le commencement on aurait pu les prévoir, car il montrait déjà que certains sentimens ne sauraient être bien compris de lui. En entrant à Dresde après la victoire de Kesseldorf (18 décembre 1745), il avait immédiatement dépêché un de ses aides-de-camp vers le compositeur Hasse, qui dirigeait alors l’Opéra à la cour du roi de Pologne, son bienfaiteur. Malgré la répugnance de Hasse et malgré l’émotion bien naturelle qu’il éprouvait à ce moment, Frédéric lui faisait enjoindre de monter pour le lendemain l’opéra d’Arminio, qu’il désirait vivement entendre. Il fallut bien s’exécuter et le roi put admirer à son aise le talent du compositeur et celui de la Faustina, sa femme. Mais alors, du moins, Frédéric agissait en roi et savait reconnaître par une rémunération convenable le plaisir qu’on lui avait fait. C’est vis-à-vis des musiciens d’ailleurs qu’il s’était toujours montré le plus généreux, car de tous les arts la musique était celui pour lequel il avait le penchant le plus vif. Pendant bien longtemps, et jusqu’au moment de la guerre de la succession de Bavière, à travers toutes les vicissitudes d’une existence assez agitée, le concert de chaque soir avait eu lieu régulièrement. Cette distraction semblait d’autant plus nécessaire à Frédéric qu’il avait à peu près renoncé à toutes les autres. Une de ses soirées musicales les plus mémorables fut celle de ce mois de septembre 1770, où la princesse Antonie de Saxe, veuve de l’électeur, tint le piano et chanta ; puis divers morceaux se succédèrent dans lesquels le prince de Brunswick faisait la partie du premier violon, et le prince de Prusse celle du violoncelle. Frédéric lui-même, comme d’habitude, jouait la première flûte et Quantz la seconde. Après la mort de celui-ci (1773), le roi, gêné aussi par la perte de ses dents, se dégoûta non-seulement de la flûte, mais presque de toute espèce de musique. Il semble, du