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avait fait élever à proximité du Nouveau-Palais un petit édifice appelé le Temple des antiques, construit spécialement pour y rassembler ses collections. On disposa dans la rotonde les meilleures statues dont un fonds de plus de cent marbres, légués par la margrave à son frère, avait accru le nombre. Quatre armoires de cèdre installées dans une pièce voisine reçurent les médailles et les pierres gravées provenant pour la plupart de la collection amassée en Italie par Ph. de Stosch et qui avait été acquise après sa mort, en 1764. Frédéric donnait en même temps l’ordre de former une bibliothèque spéciale, composée d’ouvrages ayant rapport à l’histoire de l’art. Mais quand il s’était agi de nommer un conservateur de ces collections, il avait montré une fois de plus ses dispositions peu sympathiques à l’égard de ses compatriotes. Son ministre Münchhausen ayant recommandé à son choix un savant de Goettingue, nommé Heyne, qui lui semblait propre à cet office, tout en faisant simplement observer qu’il ne parlait pas couramment le français, le roi l’écarta pour ce seul motif, mettant en marge de la proposition : « Je ne veux point de pédant. » Cependant Winckelmann aurait peut-être trouvé grâce à ses yeux, mais les négociations tentées par le colonel Guichard (celui que Frédéric appelait Quintus Icilius) ne purent aboutir. Quant à Carl Lessing, le frère du célèbre écrivain, auquel, de son côté, l’esthéticien Sulzer avait pensé, la crainte d’attirer Lessing lui-même, dans le voisinage du roi, qui ne l’aimait pas, empêcha de proposer son nom. Aucun choix ne fut fait, et la garde des collections resta confiée au conseiller W. Stosch, professeur à l’école militaire. Celui-ci, continuant à résider à Berlin, ne venait à Potsdam que pour y accompagner les rares visiteurs qui avaient pu se munir d’une autorisation délivrée par le roi lui-même. Ainsi reléguées dans ce local peu abordable, les collections devaient y demeurer jusqu’à la fin du siècle, mal surveillées et à peu près perdues pour l’étude.


V

Tous ces achats d’œuvres d’art et de mobilier, et surtout les frais de cette immense construction du Nouveau-Palais, des communs, du Temple des antiques, ainsi que l’arrangement des jardins, avaient amené des dépenses considérables et refroidi d’autant le zèle du roi. Si, au début de son règne, il ne s’était pas refusé à satisfaire ses goûts ou son amour-propre, il n’avait jamais péché par un excès de générosité. Chazot, qui le connaissait bien, cherchant dans ses Mémoires à quoi attribuer l’insuccès de quelques-unes de ses entreprises, disait à ce sujet : « Et pourquoi ? Toujours pour la même cause ; parce qu’il manque un louis à l’exécution. Un louis de plus,