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importance et un caractère décoratifs. qui soient en harmonie avec le caractère de l’ensemble. Il a mis cette entrée au centre avec un vestibule et un escalier d’honneur. Frédéric, au contraire, propose d’ouvrir simplement jusqu’en bas la fenêtre du milieu pour servir d’entrée ; il ne veut pas non plus de vestibule, on le remplacera par une grotte, et, quant à l’escalier, il sera très modeste et relégué dans un coin. La discussion s’échauffant : « Je suis le maître, dit le roi, et c’est pour moi qu’on construit. » À quoi Legeay, piqué au vif, répond que son honneur est engagé et qu’il ne cédera pas. Des propos aigres on vient aux menaces, et, Frédéric faisant mine de lever sa canne sur l’architecte, celui-ci met la main sur son épée. Il fallut bien se séparer, et la retraite de Legeay laissa au roi toute liberté pour suivre son idée et s’en tenir à son plan qui fut en effet exécuté.

Dans les constructions précédentes, surtout pendant la période qui s’étend de 1740 à 1756, Frédéric avait pu employer des artistes formés à bonne école. La décoration du Nouveau-Palais, confiée à leurs successeurs ou à leurs élèves, est loin de présenter les qualités de goût que nous avons constatées dans les châteaux de Potsdam et de Sans-Souci. La France, qui avait inspiré ces derniers ouvrages, avait elle-même vu succéder au style sobre et correct de Robert de Cotte et de Blondel une ornementation moins fine et moins discrète. Avec Oppenord par exemple, des formes étranges et contournées sans motif s’étaient introduites dans notre architecture. Mais ces excès contre lesquels, avec le style de Louis XVI, une réaction devait promptement se produire, étaient contenus chez nous par l’éducation de nos artistes, par les habitudes et les traditions d’un goût délicat. En Allemagne, au contraire, où l’on se bornait à nous copier, ces pastiches devaient naturellement aboutir aux plus monstrueuses exagérations. Nahl, dont la direction avait été marquée par des productions pleines de mesure et de distinction, s’était éloigné de Berlin en 1746 pour se retirer d’abord en Suisse, puis à Cassel, où il mourut en 1781, et J.-M. Hqppenhaupt, qui, avec son frère, avait travaillé sous ses ordres à Sans-Souci, reprenait après lui cette direction. C’était un dessinateur doué d’une certaine verve et d’une facilité très réelle, mais qui, faute d’une instruction suffisante, se laissait aller aux caprices les plus choquans. En parcourant son œuvre, on reste frappé de cette absence complète de goût et de principes, de ce parti-pris de décoration à outrance qui prodigue indifféremment des motifs empruntés à tort et à travers, sans aucun souci des proportions ou des convenances. architecturales. Il y a là des cheminées qui imitent des rochers amoncelés et d’où sortent des pendules ou des obélisques ; des meubles ventrus, massifs, surchargés d’efflorescences bizarres ou de ces rocailles dont l’abus a valu à ce genre de style le nom justement décrié de rococo. La grotte