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passer. C’est toujours aussi une faveur que d’y être admis. Mais quelle que soit l’habileté de l’exécutant, le divertissement doit être médiocre pour les invités, car la flûte seule fait presque tous les frais de ce concert, et si, à raison de sa sonorité spéciale, cet instrument est précieux dans un ensemble, isolé il ne laisse pas de provoquer assez vite une impression de monotonie inévitable et devenue proverbiale. Or ce n’est pas un air seulement, ce sont d’ordinaire trois morceaux de suite qui sont infligés au public.

Par leur solennité, les apprêts de cette séance touchent d’ailleurs au plus haut comique. Le royal musicien ne veut pas se produire avant d’être bien sûr de son mécanisme et de son embouchure. Enfermé seul dans la salle du concert, il prélude, il s’entraîne, pendant que les invités stationnent dans une pièce voisine, attendant qu’il ait fini de repasser ses traits. Quand il juge que ses doigts sont assez déliés et que, par ces exercices préliminaires, il a assuré la pureté de son exécution, sur un signe de lui les portes sont ouvertes. Alors, auditeur ou musicien, chacun doit en silence gagner sa place et s’y tenir coi. Le concert commence et se compose le plus souvent d’un concerto et de deux duos que Frédéric exécute avec Quantz, lequel est naturellement chargé de la seconde partie. A peine laisse-t-on un court intervalle entre chaque morceau. Parfois cependant le roi fait quelques observations sur l’exécution même ou sur le caractère de ce morceau, et c’est pour lui l’occasion de s’élever contre les innovations du goût moderne, qu’il blâme et condamne sévèrement. Quantz, qui n’est pas non plus pour les innovations ; appuie avec force les appréciations du roi. Mais généralement les trois morceaux se succèdent à la file, sans interruption, au milieu d’un silence religieux, car Quantz a seul le privilège d’encourager son élève, de crier bravo aux bons endroits et même d’applaudir aux traits réussis. A tout autre les marques d’approbation sont sévèrement interdites. Un claveciniste assez distingué, G. Fasch, ignorant cette règle et invité à un de ces concerts lors de son passage à Berlin, ayant eu le malheur de manifester son contentement et de renchérir sur les bravos de Quantz ; se voit expulsé impitoyablement de la salle. C’est Benda qui dirige l’orchestre ; quelquefois aussi Emmanuel Bach accompagne simplement au clavecin, et il parait que la tâche n’est pas toujours facile, car si l’embouchure de Frédéric est excellente, la mesure, en revanche, n’est pas précisément son fort. Ce Bach, le second fils du grand Sébastien, est ce musicien remarquable qui a su le premier donner à la sonate la forme que Haydn et Mozart ont respectée et consacrée. Le clavecin lui-même, du reste, à cette époque, est en voie de transformation. On cherche de divers côtés à le perfectionner, de façon à lui permettre l’expression des nuances