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les meubles et les objets les plus usuels de ce temps restent des modèles de proportions heureuses, de solidité, de commode et intelligente appropriation. De cet art, — qui, à raison de sa courte durée et aussi parce qu’il n’a laissé chez nous que de trop rares spécimens, n’est point encore estimé à sa valeur, — l’Allemagne possède des productions tout à fait remarquables : le château de Brühl près de Cologne, celui de Würtzbourg, et près de Munich ceux de Nymphenbourg, d’Amalienbourg et de Schleissheim, qui tous sont dus à des architectes français. Robert de Cotte, Boffrand, Fr. Cuvilleret Ch. Dubut en ont, en effet, fourni les plans, ou dirigé l’exécution, soit en enrôlant en France des artistes et des ouvriers, soit en profitant des aides que, sur place, ils pouvaient trouver ou former eux-mêmes.

Sans parler des édifices de ces maîtres qu’il avait pu voir à Paris ou même sur sa route, Knobelsdorf avait à sa disposition la riche collection de plans que de bonne heure le roi avait rassemblée. Les recueils de Blondel qui venaient de paraître (1752) et ceux que Boffrand allait bientôt publier (1745) lui fournissaient aussi les indications les plus précises et les plus sûres pour l’aider dans sa tâche. À défaut d’originalité, il y apportait une facilité et un goût naturels qui, chez lui, suppléaient au manque d’instruction première. Dès son retour de France à Berlin, Knobelsdorf était chargé par Frédéric de travaux considérables. Après la construction de l’Opéra (1742), il avait dû s’occuper de l’agrandissement et de l’appropriation de Charlottenbourg, où d’abord le roi avait songé à se fixer. Dans l’aile qu’il y ajouta, on remarque l’escalier et le grand salon dont les portes et les panneaux, avec leurs trophées allégoriques, s’inspirent déjà du style Louis XV et contrastent avec la décoration des appartemens voisins dont Schluter était l’auteur. Les remaniemens que Knobelsdorf eut à effectuer au château de Potsdam (Stadtschlofs) furent à la fois plus considérables et poursuivis avec plus de soin et de luxe. L’escalier de marbre, le théâtre, l’appartement du roi, sa chambre d’audience, la salle de concert et surtout la grande salle à manger de ce palais sont des productions du style Louis XV le plus pur et qui peuvent rivaliser avec les meilleurs ouvrages que nous possédions en ce genre.

Mais ce n’étaient là, à tout prendre, que des travaux d’appropriation et, bien que souvent, pendant son règne, Frédéric se plût à résider dans ce château de Potsdam, il souhaitait avoir, en dehors de la ville, en pleine campagne, une demeure faite pour lui-même, où il pût librement vivre à sa guise et contenter ses goûts d’indépendance et de solitude. Dans cette intention, il avait fait choix d’un emplacement situé à l’entrée du bois qui touche à Potsdam pour y élever une habitation qui, appelée d’abord La Vigne, devait