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le goût du jeune homme pour la musique et réprimer ce qu’il considérait comme une tentative de corruption, il ordonna de saisir la jeune fille chez ses parens et la fit fouetter en plein jour dans plusieurs quartiers de Potsdam.

Ces violences et ces procédés, dont la rigueur augmentait de jour en jour, inspirèrent à Frédéric l’idée bien naturelle de se dérober par la fuite au joug odieux qui pesait sur lui. On sait comment ce projet d’évasion fut découvert et puni de la mort de Catt, l’ami et l’un des complices du prince ; comment celui-ci, après avoir été condamné, fut menacé lui-même d’un sort pareil et finalement enfermé à Custrin. Soumis au régime le plus dur, il ne pouvait cependant renoncer à cette passion pour la flûte, qui lui avait déjà attiré tant de persécutions. Le désir de se livrer à sa distraction favorite le rendait ingénieux à déjouer la surveillance dont il était l’objet. Ne pouvant plus avoir un maître attitré, il avait imaginé de prendre pour valet de chambre un ancien fifre de régiment, Frédersdorf, qui, depuis lors, resta toujours attaché à sa personne et sut, à force d’habileté, gagner et conserver sa faveur. Sous prétexte de chasser, Frédéric partait accompagné de Frédersdorf, qu’il emmenait au plus profond des bois, afin de pouvoir en toute sûreté jouer avec lui des duos. Le reste du temps se passait à quelques lectures permises, à rimer de méchans vers, aussi à dessiner, mais d’une manière plus que médiocre, à la mine de plomb ou au pastel. Obligé, pendant son internement à Gustrin, d’assister à toutes les séances de l’administration des domaines, Frédéric se dédommageait de cet ennui en faisant la charge du président de Munchow et des conseillers rangés autour de la table, et il faut croire que son talent de dessinateur ne put jamais dépasser la caricature, car le portrait que plus tard il essaya de faire d’après Voltaire et qu’on montre encore à Potsdam, au Nouveau-Palais, n’aboutit également qu’à une charge grotesque.

Peu à peu cependant la surveillance et le régime auxquels le jeune prince était soumis devenaient moins sévères, grâce aux sollicitations de sa mère et de sa sœur Wilhelmine. Cette sœur, son aînée de trois ans, avait toujours été sa confidente ; elle l’assistait de son mieux dans ses démêlés avec le roi, et c’est pour elle qu’il montra l’affection la plus vive et la plus durable. La correspondance entre le frère et la sœur continua régulière et fréquente lorsque, mariée au margrave de Baireuth, Wilhelmine eut quitté Berlin. Son caractère offrait plus d’un trait commun avec celui de Frédéric. Comme lui elle aimait les lettres et les arts ; elle peignait un peu, et dans le centre modeste où elle se trouvait reléguée, elle s’appliquait à satisfaire des goûts élégans et distingués. La vie qu’elle menait à Baireuth nous montre ce qu’étaient à cette