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dans l’air, dans l’océan, dans les forêts, dans les montagnes, dans les plaines, tous les êtres terrestres ou marins, végétaux ou animaux, nous donnent le spectacle d’une lutte mutuelle qui s’exerce incessamment sans trêve et sans merci. Les forts anéantissent les faibles, les gros mangent les petits… Ce n’est pas un cri de joie qui, des flots azurés ou des profondes forêts, s’élève vers le ciel, c’est un cri de détresse et de douleur, c’est le cri des vaincus. Luttes fratricides, combats acharnés, proies dévorées vivantes, carnages, massacres, douleurs, maladies, famines, morts sauvages, voilà ce qu’on verrait si Je regard pouvait pénétrer ce que cachent dans leur sein l’impassible océan ou la tranquille forêt. » Ces lignes éloquentes ne sont que le commentaire scientifique de ces vers si mélancoliques de Leopardi :


So che natura è sorda,
Che miserar non sa,
Che non del ben sollecita
Fu, ma dell’ esser solo.


« Je sais que la nature est sourde, qu’elle ne connaît point la pitié et qu’elle a souci, non pas du bonheur, mais de l’existence seulement. » Oui, la nature est sourde et elle ne connaît point la pitié, mais l’homme, du moins, connaît ce sentiment qui est la partie divine de son être, et ce « roi des animaux, » puisque la science se complaît à l’appeler ainsi, conserve en ce point sur ses sujets une supériorité que toutes les ingénieuses observations de l’histoire naturelle ne parviendront pas à lui enlever. C’est donc sur sa pitié que doivent exclusivement compter ceux que l’insuffisance de leur salaire condamne à une existence misérable et met chaque jour à la merci du besoin, à leurs souffrances le principal remède sera toujours l’assistance de leurs semblables, non point l’assistance aveugle et irréfléchie, mais l’assistance rationnelle et intelligente s’exerçait, suivant les cas, tantôt sous la forme de secours directs, tantôt, et de « préférence, sous celle d’institutions prévoyantes. La conclusion à laquelle conduit invinciblement une étude attentive de la question des salaires serait donc la justification économique de la charité, et puisque aujourd’hui la charité a besoin d’être réhabilitée, il n’était peut-être pas inutile de mettre en relief cette première conclusion, qui ne paraîtra peut-être pas très scientifique, mais qui, au point de vue pratique, n’en demeure pas moins, j’en suis convaincu, la seule et la vraie.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.