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façon absolue que de condamner les guerres de nation à nation. Sans doute, les grèves comme les guerres sont toujours chose regrettable (encore y aurait-il bien quelques réserves à faire au sujet des guerres), mais c’est cependant la seule ressource qui reste aux ouvriers si à des exigences raisonnables les patrons ne veulent pas faire droit. Il est parfaitement légitime à l’ouvrier de poursuivre une augmentation de salaire, et il n’y a pas de raison pour qu’il fasse à son patron l’abandon bénévole de ce qu’il peut légitimement réclamer. Ses prétentions ne deviennent condamnables que s’il les pousse au point de constituer son patron en perte, ou même si le bénéfice laissé au patron n’est plus assez grand pour compenser les risques et les responsabilités que celui-ci encourt nécessairement. On peut donc condamner une ou plusieurs grèves, on ne peut condamner toutes les grèves. A ne parler que des grèves parisiennes, celles qui ont suivi d’assez près la loi de 1866 sur la liberté des coalitions ne paraissent pas avoir été inspirées par des exigences déraisonnables. Peut-être bien, en effet, dans un assez grand nombre d’industries, les patrons avaient-ils quelque peu abusé, sinon de l’impossibilité, du moins de la difficulté pour les ouvriers de se coaliser en vue de demander une augmentation de salaires, et peut-être bien ne s’étaient-ils pas assez préoccupés d’assurer au travail sa part dans l’augmentation croissante de leur prospérité.

Ce n’est que depuis quelques années que les ouvriers, encouragés en partie par l’appui constant de certains pouvoirs publics, ont haussé leurs exigences à un taux qui semble peu raisonnable. Mais pour nous, qui recherchons l’influence des salaires sur la misère, nous n’avons point à nous préoccuper de cette question des grèves. Il est, en effet, assez remarquable que les ouvriers qui se mettent en grève, ce sont toujours, à Paris du moins, ceux qui touchent déjà des salaires élevés. Nous avons eu les oreilles rebattues des réclamations des maçons, charpentiers, menuisiers, fumistes, etc., qui, gagnant déjà 6 et 7 francs, voulaient gagner 8 à 9 francs et qui y sont parvenus, au moins provisoirement. Mais on n’a pas oublié l’exemple si instructif du guetteur, qui, payé 3 fr. 50 en 1872, est encore payé 3 fr. 50 aujourd’hui. Qui a jamais entendu parler d’une grève des hommes de peine, des couturières ou des lingères ? En un mot, ce sont les aristocrates et les privilégiés du travail qui se mettent en grève, ce ne sont pas les humbles et les déshérités. Pourquoi cela ? La raison en est bien simple. C’est à cause de leur humilité même, parce que, vivant au jour le jour, ils ne pourraient tenir longtemps rigueur et que la lutte serait trop facile contre eux. C’est aussi parce que les conditions de