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A Paris, cette proportion pourrait bien être un peu exagérée, en raison de la quantité considérable de viande et d’autres denrées qui entrent dans la nourriture populaire. La moyenne de la consommation quotidienne par tête d’habitant atteint à peine 430 grammes ; en province et dans les campagnes surtout, elle est très supérieure. Notons en passant que le pain consommé à Paris, même dans les classes les plus humbles, ne ressemble nullement à celui dont font usage nos ménages de paysans même aisés ; c’est toujours du pain blanc de première qualité. Le pain bis qui, il y a vingt ans, figurait encore pour 2 pour 100 dans la fabrication parisienne, en a aujourd’hui complètement disparu, grâce en partie peut-être à la mauvaise volonté des boulangers, auxquels la fabrication de ce pain donne autant de peine et procure moins de bénéfice[1]. Quant au prix du pain de première qualité, si l’on se reporte à une période assez éloignée en arrière, il a légèrement haussé. Pendant la première moitié du siècle, la moyenne du prix de vente du kilogramme a été de 0 fr. 34. Elle est aujourd’hui d’environ 0 fr. 43. Cette hausse par elle-même ne pourrait pas être qualifiée de considérable ; mais elle a droit de surprendre lorsqu’on la compare à l’abaissement du prix du blé, abaissement qui devrait profiter, ce semble, aux consommateurs de pain. il n’en a rien été, et la liberté de la boulangerie n’a pas donné sur ce point les résultats qu’on était en droit d’en attendre. Les frais exagérés causés, soit par la cherté des procédés de fabrication, soit par la multiplication trop grande du nombre de boulangeries, ont absorbé cette différence, et le prix du kilogramme de pain qui, au temps de la taxe, était toujours inférieur au prix du kilogramme de farine, se tient aujourd’hui légèrement au-dessus. Mais cette hausse, somme toute assez peu sensible, du prix du pain est compensée par un avantage, celui de sa fixité : si le pain en moyenne est un peu plus cher aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans, en revanche, on ne le voit plus comme autrefois doubler d’une année à l’autre, et passer d’un bond de 0 fr. 30 à 0 fr. 60. Aujourd’hui le prix du pain est presque une constante (comme on dit en statistique) dans la dépense annuelle d’un ménage, et par là bien des angoisses, bien des émotions, bien des causes de troubles populaires ont été supprimés. Ce n’est pas un des moindres avantages de la libre importation des blés étrangers que d’avoir ainsi fait disparaître la terrible question du prix du pain, et cet avantage vaut à lui seul tous les inconvéniens que cette libre importation entraîne, sans qu’il faille cependant renoncer pour cela à en attendre des avantages plus sérieux encore,

  1. Ces renseignemens et ceux qui vont suivre sont empruntés à un très intéressant travail de M. Armengaud sur la meunerie et la boulangerie.