Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révolution française, soit, au contraire, par le développement des institutions modernes de mutualité et de prévoyance.


I

Bien qu’il y ait nécessairement quelque chose de factice et d’incomplet dans toute division de ce genre, on peut distinguer cependant, à Paris comme ailleurs, cinq causes principales de la misère : l’insuffisance du gain journalier, la maladie, les infirmités, la vieillesse et l’inconduite. En effet, tout individu dont le gain journalier est suffisant et qui échappe à la maladie ou aux infirmités doit pouvoir économiser pour sa vieillesse, à moins qu’il ne dissipe son gain par inconduite. Si nous passons successivement en revue les cinq causes que je viens d’indiquer, nous ferons le tour complet de la misère parisienne, et nous trouverons dans cette excursion, à côté de beaucoup de sujets de tristesse, quelques sujets de consolation dans le spectacle des efforts qui sont faits pour y remédier.

Il est cependant une sixième cause qui, à la vérité, se confond avec la première, mais qu’il importe d’examiner à part, parce qu’il est impossible de le faire sans entrer dans des considérations d’une tout autre nature : c’est la fréquente disproportion du nombre des enfans avec les ressources du ménage. Cette question est assez délicate à traiter, et l’on risque fort, à l’entreprendre, de faire sourire ou de scandaliser ; mais ce n’est peut-être pas une raison pour ne pas dire ce qu’on croit être la vérité.

Il y a tantôt quatre-vingts ans que Malthus a fait tapage dans le monde, encore assez restreint, de ceux qui s’occupaient des questions sociales et économiques en affirmant qu’une des principales causes de la misère était le développement trop rapide de la population par rapport aux moyens de subsistance, et que, s’il n’était pas porté remède à ce danger par la diminution préventive du nombre des naissances, la nature se chargerait elle-même de la besogne par voie d’élimination brutale. On a depuis lors accumulé anathèmes sur son nom et réfutations contre sa doctrine. D’un côté, on a fait porter à son honnête mémoire la responsabilité de faits dont il est absolument innocent, et on a répandu des flots d’encre ou d’éloquence pour réfuter des conseils qu’il n’a, du reste, jamais donnés. De l’autre, on s’est, et non sans succès, efforcé de démontrer que la loi posée par lui n’est pas exacte et qu’il n’est pas conforme à la réalité de mettre en opposition la progression géométrique du développement de la population[1] et la progression

  1. Pour ceux qui l’auraient oublié, je rappelle ici qu’on désigne sous le nom de progression géométrique la progression : 1, 2, 4, 8, 16, 32… et sous le nom de progression arithmétique, la progression 1, 2, 3, 4, 5, 6…