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considérations philosophiques n’auraient pas suffi pour me déterminer à reprendre une série d’études dont tous les lecteurs de la Revue[1] n’ont peut-être pas oublié les tristesses, si je ne pensais que ces études peuvent aussi avoir quelque utilité. Ce serait, en effet, une tâche assez ingrate que d’avoir constaté les conditions misérables où vit une portion de la population parisienne s’il était complètement oiseux de rechercher les causes de cette grande plaie de notre civilisation et les remèdes qu’il est possible d’y appliquer. On voudra bien remarquer que je dis les causes et non point la cause, les remèdes et non point le remède. A employer ce pluriel en place de ce singulier, il y a plus de différence et aussi plus de modestie qu’on ne croit. Je ne connais pas, en effet, d’entreprise qui soit plus ardue et, si j’osais dire toute ma pensée, plus stérile que de rechercher la cause de la misère. C’est d’ailleurs un problème abstrait auquel chacun ne peut se défendre de donner une solution qui réponde à ses conceptions théologiques ou cosmogoniques. L’un y verra une dispensation mystérieuse de la Providence répondant à des desseins secrets sur les âmes, l’autre une conséquence inéluctable des lois fatales qui gouvernent l’évolution du monde, et la controverse ne fera qu’affermir chacun dans son sentiment sans conduire à un résultat pratique. Quant à trouver un remède unique à la misère, j’avoue qu’il n’y a point de panacée qui ne m’inspire une méfiance invincible, et l’expérience du genre humain ne me paraît pas avoir été jusqu’à présent très encourageante pour les guérisseurs de société. Mais si, renonçant à poursuivre ces résultats ambitieux, on veut bien, plus modestement, se contenter d’étudier dans leur complexité les causes directes et tangibles des misères si diverses que chacun de nous a occasion de rencontrer sur sa route, causes banales, vulgaires qui se répètent chaque jour sous nos yeux, peut-être pourra-t-on trouver le moyen de combattre efficacement quelques-unes de ces causes et d’apporter un palliatif à quelques-unes de ces misères. Telle est l’humble tâche que je voudrais entreprendre en restreignant toutefois ces études, comme les précédentes, dans un cercle exclusivement parisien. Cependant je m’enhardirai peut-être chemin faisant, et lorsque l’occasion s’en présentera, à dire un mot de quelques-uns des problèmes qui sont en discussion dans les sphères supérieures de l’économie politique, et je ne m’interdirai pas de rechercher, en terminant, s’il y aurait, comme le croient des esprits généreux, quelque chance de voir, sinon disparaître, du moins diminuer la misère, soit par un retour à l’ancienne organisation du travail détruite par la

  1. Voir les articles sur la Misère à Paris dans la Revue du 15 juin et du 1er octobre 1881.