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personnel (persoenliche Faktor). Ce facteur personnel qui vient se mêler à la chaîne des effets et des causes, est l’essence interne de l’homme, le caractère. Le caractère est, selon lui, la seule cause immédiate de l’activité volontaire. Dans ce qu’elle a d’intime, elle doit toujours rester une énigme ; elle est l’indéterminable Ding an sich de Kant. « Quand on dit que le caractère de l’homme est un produit de l’air et de la lumière, de l’éducation et de la destinée, de la nourriture et du climat, qu’il est prédestiné par ces influences comme tout phénomène naturel, c’est là une conclusion complètement indémontrable. L’éducation et la destinée impliquent déjà un caractère qui les détermine : on prend ici pour effet ce qui est déjà en partie cause. Mais les faits d’hérédité rendent vraisemblable au plus haut degré que, si nous étions en état de remonter jusqu’au point initial de la vie individuelle, nous rencontrerions là un germe de personnalité indépendant (selbständiger) qui ne peut être déterminé du dehors, vu qu’il précède toute détermination. » En citant cette page curieuse, M. Ribot déclarait y donner son adhésion dans la première édition de son livre[1]. Pourquoi n’a-t-il pas maintenu ce passage et son acquiescement à la doctrine qu’il contient ? M. Ribot semblait alors sur le point de nous faire la concession suprême d’un facteur personnel. Cependant déjà la logique de son idée fixe l’arrêtait ; il y avait lutte, hésitation. Dans l’intervalle de ces dernières années, il est retombé dans le déterminisme, qui ne lâche passa proie. La dialectique du système l’a replongé tout entier dans la force fatale et impersonnelle.

Recueillons au profit de la vérité, supérieure aux doctrines, les précieux aveux du docteur Lucas, de Littré, de Bain et de Wundt. Aucun de ces savans ne s’est refusé à reconnaître ce fait-principe, caché au fond de notre vie intellectuelle et morale, peut-être même de notre vie physiologique, un primum movens quelconque qui échappe au déterminisme, ce germe d’individualité qui ne peut être déterminé du dehors, vu qu’il précède toute détermination extérieure, la conditionne et la modifie. Les seules objections qu’on ait élevées contre ce principe, c’est qu’on ne peut l’expliquer par les lois connues, ni le comprendre dans la série des causes naturelles. Quoi d’étonnant, si cette cause elle-même n’est pas d’ordre physiologique ? Et puis, est-il d’un bon esprit de nier une réalité parce qu’on n’en comprend pas l’origine ? Mais alors niez la vie, puisque la génération spontanée est impuissante à l’expliquer. De quelque façon qu’il se produise, un principe dynamique existe ; appelez-le monade, ou âme, ou force ; pourvu que vous reconnaissiez que cette force

  1. L’Hérédité, étude psychologique, 1re édition, p. 477.