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Pas si victorieuse pourtant qu’on pourrait le croire. Ce qui fait sa force apparente fait aussi sa faiblesse. On ne peut pas prouver jusqu’au bout contre elle, mais elle ne peut pas non plus démontrer au-delà d’un certain point. Des deux côtés, on en est réduit à des affirmations ou à des dénégations qui se valent dans le néant de toute preuve positive. Pour une quantité considérable de cas qui restent en dehors de l’hérédité visible, les partisans absolus de cette loi sont obligés de se réfugier dans la dialectique commode et illimitée des probablement et des peut-être, ou, ce qui est plus grave, des assurément sans preuve. « Assurément, il a dû se passer quelque chose dans la vie embryonnaire de l’enfant, qui a dérangé les lois normales et faussé en apparence l’hérédité en troublant les conditions selon lesquelles elle devait s’accomplir. » C’est, en dernière analyse, à des argumens de ce genre que l’école biologique a recours en beaucoup cas, et raisonner ainsi, c’est avouer son impuissance, c’est reconnaître qu’on n’a plus des faits positifs à sa disposition, mais seulement des possibilités indéfinies, c’est-à-dire de simples conjectures.

En face de pareils raisonnemens qui représentent les expédiens d’une école dans l’embarras, se dresse cette réalité, éclatante d’évidence, celle dont nous avons suivi la trace toujours visible dans le cours de cette étude, celle qu’on s’obstine en vain à écarter, l’individualité psychologique et morale. Il n’est cependant pas facile de s’en passer, et c’est soutenir une gageure impossible contre l’expérience que de vouloir nier qu’il y ait dans tous les êtres vivans, et spécialement dans l’homme que nous considérons, un principe contraire à l’hérédité, un élément puissant de diversité, une force autonome et spontanée, qui modifie profondément les lois qu’elle rencontre autour d’elle et réagit contre les causes distinctes ou opposées. Sans revenir sur les faits que nous avons analysés et dans lesquels nous avons rencontré si souvent l’empreinte indélébile d’une individualité réfractaire, — comme ces profondes divergences d’aptitudes psychologiques qui se manifestent dans les mêmes familles, ces apparitions soudaines d’un grand homme au milieu de générations obscures ou ces chutes non moins soudaines d’une race illustre dans d’irrémédiables décadences, ne doit-on pas tenir compte de ces faits si curieux que les naturalistes ont relevés, des jumeaux par exemple, qui à coup sûr ont parcouru les mêmes phases et subi les mêmes accidens de l’instant de la conception à celui de la naissance et chez lesquels se présentent parfois de si étonnans contrastes de goût, de penchans et d’idées ? Que dire des deux jumelles de Presbourg, Ritta et Christina, qu’un accident de la nature avait réunies par l’extrémité postérieure du thorax et qui