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résulte que l’hérédité, tout en étant la loi, est toujours dans l’exception apparente, la totalité des caractères ne s’héritant jamais. Mais cette exception elle-même n’est, dit-on, qu’un accomplissement plus profond de la loi ; ses perturbations prouvent en sa faveur. Une connaissance plus exacte des causes nous montre l’hérédité là même où nous n’avions vu d’abord que des bizarreries et un jeu de la nature. Quand nous croyons que la loi se dément, c’est qu’elle obéit à des nécessités secrètes d’événemens que nous n’apercevons pas, de contacts et de secousses qui nous échappent et qui se produisent à l’intérieur de la machine. La machine est très compliquée ; elle dépend de mille rouages dont l’action cachée produit parfois des effets prodigieux. Mais c’est toujours le même mécanisme et toujours la même loi du mouvement. La pathologie n’étant au fond qu’un dérangement normal de la physiologie, les exceptions à la loi de l’hérédité ne sont que la loi troublée et qui, dès lors, ne peut plus donner ses effets ordinaires.

Tel est le cadre des explications dans lequel rentrent tous les faits en apparence contraires à la loi de l’hérédité. On voit dans quelle forte situation s’établissent les apologistes systématiques de cette loi. Ce n’est pas chose aisée que de les y poursuivre et de les en déloger. Comment leur prouver qu’un de ces cas d’exception, si nombreux et si compliqués, ne s’est pas produit justement pour expliquer un fait inexplicable en apparence ? Tel fait est en contradiction avec la loi d’hérédité. Mais avec laquelle ? Est-ce avec la loi d’hérédité directe ou immédiate ? Cela importe peu ; si le fait reproduit une prépondérance marquée du père ou de la mère, et cela à tous les degrés possibles, l’hérédité est justifiée. — Non pas, dirons-nous ; ce fait, bien examiné, n’est imputable ni à l’influence du père ni à celle de la mère. — Soit, mais pouvez-vous prouver qu’il n’y a pas là un cas curieux de retour, un fait d’atavisme ? Et l’atavisme, c’est encore l’hérédité. — Nous entrons ici dans l’indémontrable : car il est impossible de connaître toutes les qualités ancestrales qui ont été en jeu à travers deux ou trois siècles et dix générations. Et puis, si cela ne suffit pas encore, rien n’empêche d’imaginer des dispositions momentanées qui auront pu influer sur la conception et la vie embryonnaire de l’enfant jusqu’à sa naissance. Et, comme dernière explication, ne reste-t-il pas la ressource de l’adaptation corrélative et de la compensation de développement qui dérange les résultats prévus dans les individus, mais rétablit l’exactitude des comptes dans l’espèce ? — Il est impossible de nier expérimentalement qu’un de ces cas d’exception ne se soit pas produit dans l’histoire physiologique ou psychologique de l’enfant ; la loi de l’hérédité sort donc victorieuse de toutes les épreuves qu’on lui fait subir.