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curiosité virile et de la sagacité féconde, qui deviennent comme l’exemple et la leçon de chaque jour ? — On nous dit que l’éducation n’a pas une influence absolue ; cela est vrai : l’éducation ne crée pas une intelligence supérieure là où elle n’existe pas ; elle n’est pas une puissance créatrice, mais elle est au plus haut degré un pouvoir excitateur et révélateur ; elle va chercher souvent au fond d’une inertie apparente des germes endormis ; elle les agite par une sorte de fermentation, elle les féconde, elle prépare par eux des moissons qu’auraient couvertes éternellement sans elle, sans son appel à la vie, un silence de mort et la stérilité. — On dit que l’éducation n’a d’action que sur les natures moyennes. Sans doute, elle fait donner aux natures médiocres tout ce qu’elles peuvent fournir, tout, excepté la grande capacité. Mais pour les natures supérieures, sans les créer, elle les révèle. Combien d’entre elles, découragées avant d’avoir essayé leurs forces, vaincues d’avance, sans cette sollicitation énergique à la lumière, seraient restées éternellement obscures à elles-mêmes et aux autres !

Évidemment cela ne réussit qu’à la condition que se crée en même temps et se développe la volonté d’agir, de se montrer ou d’être utile. L’indifférence, la paresse de corps ou d’esprit, une certaine mollesse, la fatigue de la lutte, peuvent arrêter des hommes très capables, qui brilleraient sans cela au premier rang. C’est une chose remarquable que, dans chaque spécialité intellectuelle, certaines conditions morales soient nécessaires. Du désordre dans les notes, une simple négligence matérielle dans l’économie des moyens et du temps, une certaine irrégularité, une extrême inexactitude dans les heures ou la disposition de s’occuper de trop de choses différentes, arrêtent quelquefois l’essor d’un homme qui aurait pu devenir célèbre. Inversement, il ne manque pas d’exemples d’après lesquels un individu doué de talens médiocres, mais qui veut et sait les employer, arrive à une réputation méritée[1]. Tout cela est la vérité même observée sans prévention, la vue des choses et des hommes tels qu’ils sont ; tout cela sans grande prétention, et dans le tonde l’expérience de chaque jour, c’est la réalité même, la vie consultée dans ses puissances ou ses faiblesses, l’esprit examiné dans ses ressources et ses facultés et chez qui ni le talent ni la célébrité ne se produisent comme une grâce héréditaire, comme la jouissance gratuite des dons accumulés et transmis dans le cours des générations. L’hérédité prépare les facultés et l’aptitude au talent, mais d’une manière très générale, incomplète et vague. Il s’agit de conquérir et de mériter le reste par le double effort de

  1. M. de Candolle, ouvrage cité, pages 107, 112, 329 et passim.