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légitime. « La patrie, dit Robespierre[1], a le droit d’élever ses enfans ; elle ne peut confier ce dépôt à l’orgueil des familles ni aux préjugés des particuliers, alimens éternels de l’aristocratie et d’un fédéralisme domestique qui rétrécit les âmes en les isolant. » Nous voulons que « l’éducation soit commune et égale pour tous les Français, » et « nous lui imprimons un grand caractère analogue à la nature de notre gouvernement et à la sublimité des destinées de notre république. Il ne s’agit plus de former des messieurs, mais des citoyens. » Nous obligeons[2] les instituteurs et les institutrices à produire un certificat de civisme, c’est-à-dire de jacobinisme. Nous fermons leur école s’ils enseignent « des préceptes ou des maximes contraires à la morale révolutionnaire, » c’est-à-dire conformes à la morale chrétienne. Les enfans apprendront à lire dans la Déclaration des droits et dans la Constitution de 1793. On fabriquera[3] des manuels et catéchismes républicains à leur usage. « On leur fera connaître les traits de vertu qui honorent le plus les hommes libres, et particulièrement les traits de la révolution française les plus propres à élever l’âme et à les rendre dignes de l’égalité et de la liberté. » On louera ou l’on justifiera devant eux le 14 juillet, le 10 août, le 2 septembre, le 21 janvier, le 31 mai. On les conduira[4] aux séances des municipalités, des tribunaux et « surtout des sociétés populaires; » « dans ces sources pures, ils puiseront la connaissance de leurs droits, de leurs devoirs, des lois, de la morale républicaine, » et, à leur entrée dans le monde, ils se trouveront imbus de toutes les bonnes maximes. — Par-delà leurs opinions politiques, nous façonnons leurs habitudes pratiques. Nous appliquons en grand le plan d’éducation tracé par Jean-Jacques[5]. Nous ne voulons plus de freluquets lettrés; à l’armée,

  1. Buchez et Roux, XXXII, 373. (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II.) — Danton avait émis exactement la même opinion, appuyée des mêmes argumens, dans la séance du 22 frimaire an II. (Moniteur, XVII, 654.) « Les enfans appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parens. Qui me répondra que ces enfans, travaillés par l’égoïsme des pères, ne deviendront pas dangereux pour la république? Et que doit nous importer la raison d’un individu devant la raison nationale?.. Qui de nous ignore les dangers que peut produire cet isolement perpétuel? C’est dans les écoles nationales que l’enfant doit sucer le lait républicain... La république est une et indivisible. L’instruction publique doit aussi se rapporter à ce centre d’unité. »
  2. Décret du 30 vendémiaire et du 7 brumaire an II. — Cf. Sauzay, VI, 252, sur l’application de ces décrets en province.
  3. Albert Duruy, l’Instruction publique et la Révolution, 164 à 172 (extraits de divers alphabets et catéchismes républicains). — Décret du 29 frimaire an II, section I, art. 1, 83, section II, art. 2, section III. art. 6 et 9.
  4. Moniteur, XVIII, 653. (Séance du 22 frimaire, discours de Bouquier, rapporteur.)
  5. Moniteur, XVIII, 351-359. (Séance du 15 brumaire an II, rapport de Chénier.) « Vous avez fait des lois ; faites des mœurs… Vous pouvez appliquer à l’instruction publique et à la nation entière la marche que J.-J. Rousseau a suivie pour Emile. »