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suprême et l’immortalité de l’âme. » Cette religion toute philosophique, il importe maintenant de l’implanter dans les cœurs. Nous l’introduisons dans l’état civil, nous ôtons le calendrier à l’Église, nous le purgeons de toutes les images chrétiennes; nous faisons commencer l’ère nouvelle à l’avènement de la république, nous divisons l’année d’après le système métrique, nous nommons les mois d’après les vicissitudes des saisons, « nous substituons partout les réalités de la raison aux visions de l’ignorance, les vérités de la nature au prestige sacerdotal[1], » la décade à la semaine, le décadi au dimanche, les fêtes laïques aux fêtes ecclésiastiques[2]. Chaque décadi, par une pompe solennelle et savamment composée, nous faisons pénétrer dans l’intelligence populaire l’une des hautes vérités qui sont nos articles de foi, nous glorifions, par ordre de dates, la Nature, la Vérité, la Justice, la Liberté, l’Égalité, le Peuple, le Malheur, le Genre humain, la République, la Postérité, la Gloire, l’Amour de la patrie, l’Héroïsme et les autres vertus. Nous célébrons en outre les grandes journées de la révolution, la prise de la Bastille, la chute du trône, le supplice du tyran, l’expulsion des girondins. Nous aussi, nous avons nos anniversaires, nos saints, nos martyrs, nos reliques, les reliques de Chalier et de Marat[3], nos processions, nos offices, notre rituel[4] et le vaste appareil de décors sensibles par lesquels se manifeste et se propage un dogme. Mais le nôtre, au lieu d’égarer les hommes vers un ciel imaginaire, les ramène vers la patrie vivante, et, par nos cérémonies comme par notre dogme, c’est le civisme que nous prêchons.

S’il importe de le prêcher aux adultes, il importe encore plus de l’enseigner aux enfans; car les enfans sont plus aisés à modeler que les adultes. Sur ces âmes encore flexibles, nous avons toutes nos prises, et, par l’éducation nationale, « nous nous emparons de la génération qui naît[5]. » Rien de plus nécessaire et rien de plus

  1. Buchez et Roux, XXXI, 415. (Rapport de Fabre d’Églantine, octobre 1793.) — (Grégoire, Mémoires, I, 341). « Le calendrier nouveau fut inventé par Romme pour détruire le dimanche; c’était son but, il me l’a avoué. »
  2. Ibid., XXXII, 274. (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II.) «Les fêtes nationales sont une partie essentielle de l’éducation publique.. Un système de fêtes nationales est le plus puissant moyen de régénération. »
  3. Ibid., XXVIII, 345. Le cœur de Marat, placé sur un autel au club des cordeliers, fut l’objet d’un culte. — (Grégoire, Mémoires, I, 341.) « Dans quelques écoles, on faisait faire le signe de la croix au nom de Marat, Lazowski, etc.
  4. De Martel, Étude sur Fouché, 137. fête de l’inauguration du buste de Brutus à Nevers. — Ibid., 222. Fête civique à Nevers pour honorer la valeur et les mœurs. — Dauban, Paris en 1704. Programme de la fête de l’Etre suprême à Sceaux.
  5. Mot de Rabaut Saint-Étienne.