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qu’un vieux morceau de peau de loup, usé jusqu’au cuir, présenté à un petit chien, le jetait dans des convulsions épouvantables, et cependant ce petit chien n’avait jamais vu de loup. Bien des exemples de ce genre prouvent également chez l’homme la transmission de sentimens singuliers attachés à certaines perceptions. L’anesthésie du goût et l’antipathie pour des odeurs déterminées sont héréditaires. — Dans tous ces cas, on dira sans doute qu’il ne s’agit pas tant d’hérédité intellectuelle que d’hérédité physiologique. Mais ici la ligne de démarcation est très difficile à marquer ; les opérations des sens tiennent de trop près à l’intelligence pour que leurs anomalies ne produisent pas sur elle des effets correspondans, et qui, se transmettant avec leurs causes, engagent déjà la question de l’hérédité psychologique.

La même faculté de transmission se constate pour les instincts, et non pas seulement pour ceux qu’on appelle naturels ou primitifs et qui appartiennent à tous les individus des espèces actuellement vivantes, mais pour ceux qui sont acquis et dont la formation a pu être observée à un certain moment et dans des circonstances déterminées. Darwin a établi ce fait remarquable que les animaux qui habitent les îles désertes n’ont pas peur de l’homme la première fois qu’ils le rencontrent, mais que, peu à peu, ils deviennent craintifs, à mesure qu’ils expérimentent nos moyens de destruction, et qu’ils transmettent à leurs descendans l’habitude d’une méfiance salutaire. Cette forme de l’hérédité est utilisée tous les jours pour le dressage des animaux, chez qui l’on réussit à fixer certaines dispositions et aptitudes utiles. Chez l’homme, elle devient un auxiliaire énergique de l’éducation ; il n’est pas douteux qu’il soit beaucoup plus facile d’obtenir des résultats élevés et durables dans une race où l’on a emmagasiné dans le cours des siècles un certain nombre d’instincts et d’habitudes conformes à cet état supérieur et qui a déjà reçu, avec le sang et les nerfs, une sorte d’éducation anticipée.

La catégorie des penchans et des passions qui se rapportent à la vie physique serait facile à remplir de faits très significatifs, par exemple ceux qui composent l’hérédité de la dipsomanie, ou l’alcoolisme, avec toutes ses transformations possibles. Car la passion de boire ne se transmet pas toujours sous cette forme : « Un de ses effets les plus fréquens, dit Magnus Huss, c’est l’atrophie partielle ou générale du cerveau : cet organe est diminué au point de ne plus remplir la botte osseuse. De là une dégénérescence mentale qui, chez les enfans, produit des fous ou des idiots. » Quelles histoires que celles que racontent les auteurs spéciaux qui ont poursuivi ce genre d’hérédité ! Un homme meurt d’alcoolisme chronique, laissant sept enfans : les deux premiers meurent en bas âge par suite de convulsions. Le troisième devient aliéné à vingt-deux ans et meurt