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renforcée des bourgeois sous les armes, qui s’étaient vaillamment conduits ; un notaire, Lemoyne, avait été tué dans une sortie.

M. le Duc resta deux jours dans Rocroy. Il avait assumé toutes les responsabilités, l’honneur de la victoire lui appartient sans partage. C’est lui seul qui, relevant le courage d’une armée abattue, l’avait amenée d’une traite d’Amiens à Rocroy ; c’est lui qui avait jugé le plan de l’ennemi avec une rare sûreté de coup d’œil, pris la résolution de combattre, conduit l’attaque, improvisé, exécuté la manœuvre décisive, ressaisi la victoire que certains de ses lieutenans laissaient échapper. Préparation de la campagne, stratégie, tactique, aucune partie ne semble donner prise à la critique[1]. Le récit de la Gazette, qu’on peut considérer comme un rapport officiel, et les lettres personnelles du général en chef accordent à L’Hôpital et à La Ferté le témoignage que méritait leur courage, en leur épargnant un blâme qui n’eût été que justice, s’il n’était permis, après un pareil succès, de se montrer indulgent pour les vieux serviteurs. Il est plus difficile de comprendre ce que le duc d’Anguien put louer dans l’attitude d’Espenan, qui semble avoir joué un rôle purement passif et n’avoir donné aucune direction à l’infanterie placée sous ses ordres. Le véritable sentiment du prince se produit dans son insistance à faire récompenser Sirot et Gassion : la conduite du premier pendant la bataille peut servir de modèle à tout homme de guerre appelé à commander une réserve ; le second, après avoir mené l’avant-garde avec une rare habileté, après avoir, par le secours de Rocroy, donné ce répit de vingt-quatre heures dont l’importance ne saurait être exagérée, s’était montré, durant l’action, tacticien consommé. Ainsi que Sirot, il sut comprendre, presque deviner la pensée de son chef et lui donner le concours le plus intelligent et le plus énergique.

La Gazette cite comme s’étant particulièrement distingués : Montbas, premier capitaine de « royal » (cavalerie), qui, deux fois, pénétra dans le carré des tercios, y fut blessé, pris et « recous ; » Pédamont, capitaine-sergent-major de Picardie, grièvement blessé (le nom de cet officier, qui avait montré autant de vigueur que de

  1. On a reproché au vainqueur de Rocroy : 1° d’avoir oublié un moment son rôle de général en chef, de s’être laissé entraîner par son ardeur, en conduisant l’aile droite et en négligeant la direction de la gauche et du centre. Mais il ne pouvait prévoir que ses lieutenans enfreindraient ses ordres ou les comprendraient si mal. S’il n’avait pas été lui même à la tête de l’aile victorieuse, il n’eût pu dégager l’aile battue par la manœuvre que son génie improvisa ; 2° d’avoir compromis le succès en attaquant l’infanterie espagnole avec des forces insuffisantes et d’avoir ainsi causé une effusion de sang inutile. Mais il ne pouvait pas laisser respirer un ennemi aussi redoutable, attendre qu’il se mit à manœuvrer ou que Beck arrivât.