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abordée, percée de toutes parts. L’ivresse du carnage saisit nos soldats, surtout les Suisses, qui avaient beaucoup souffert aux premières attaques et qui font main basse sur tous ceux qu’ils rencontrent. Le duc d’Anguien, que personne n’avait dépassé, désarme de sa main le mestre de camp Castelvi, reçoit sa parole. Les vaincus, officiers, soldats, se pressent autour de lui, jetant leurs armes, implorant sa protection. Le prince crie que l’on fasse quartier, que l’on épargne de si braves gens ; ses officiers l’assistent ; le massacre cesse ; les tercios viejos ont vécu !

Lorsque, le tumulte du combat apaisé, Anguien embrassa d’un coup d’œil ce champ de bataille couvert de débris fumans, ces longues files de prisonniers qu’on lui amenait, ces drapeaux qu’on entassait à ses pieds, tous ces témoins d’une lutte terrible et d’un éclatant triomphe, il se découvrit et son cœur s’éleva vers Celui qui venait de bénir les armes de la France : Te Deum landamus.

Le même jour, 19 mai 1643, à la même heure (neuf heures du matin), on célébrait à Saint-Denis le service du feu roi Louis XIII[1].


X. — APRÈS LA BATAILLE. — l’ARMÉE FRANÇAISE ET l’ARMÉE ESPAGNOLE.

Après la victoire, le duc d’Anguien donne ses ordres avec la même netteté, la même prévoyance qu’au milieu du combat. Il prescrit à ceux-ci de rassembler les trophées et les prisonniers dans le vallon qui avait séparé les deux armées, à ceux-là de remettre nos troupes en ordre et de reformer la ligne face au nord, à peu près sur la position qu’avaient occupée les Espagnols ; car Beck peut encore apparaître avec ses troupes fraîches, rallier quelques fragmens de la cavalerie vaincue, faire une dernière tentative. Il fallait être en mesure de le recevoir et tout d’abord avoir de ses nouvelles. Cette mission échut à Chevers, maréchal-des-logis de la cavalerie, qui, avec deux cents chevaux, les moins fatigués, alla prendre langue du côté de Mariembourg, constata la retraite des uns, la déroute des autres, et ramena deux pièces abandonnées à l’entrée du bois. Tout nuage s’étant évanoui, le duc d’Anguien, après avoir pourvu au soin des blessés et au logement des troupes, fit son entrée dans Rocroy au son des cloches et au bruit du canon. Le gouverneur Geoffreville étant toujours malade et au lit, les clés furent présentées par le major de place, Pierre Noël, à qui revenait l’honneur de la défense. Le prince le complimenta et félicita la petite garnison

  1. Gazette, n° 64.