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A l’un des angles de la phalange, un homme est élevé sur les épaules de quatre porteurs ; sa longue barbe blanche le fait reconnaître : c’est le comte de Fontaine. Il a juré, dit-on, de ne combattre les Français ni à pied, ni à cheval, et il tient son serment ; car il est assis sur la chaise où le clouent ses infirmités, « montrant qu’une âme guerrière est maîtresse du corps qu’elle anime. » Tout est immobile en face de nous ; Fontaine, sa canne appuyée sur son pied, les mousquetaires au port d’armes et derrière eux la forêt des piques. Les Français approchent ; si quelque coup de feu de leurs enfans perdus porte, les rangs se resserrent sans nulle riposte. Les assaillans commencent avoir distinctement ces hommes de petite taille, au teint basané, à la moustache troussée, coiffés de chapeaux étranges, appuyés sur leurs armes.

Tout à coup la canne de Fontaine se dresse, dix-huit bouches à feu sont démasquées, tous les mousquets s’inclinent, une grêle de balles et de mitraille balaie le glacis naturel sur lequel s’avance la ligne française. Celle-ci flotte un moment, puis recule, laissant le terrain jonché de cadavres. Quand le vent eut dissipé la fumée, la phalange était de nouveau immobile, les mousquets relevés, Fontaine à la même place. Le duc d’Anguien a bientôt arrêté ses troupes ; deux fois il les ramène et deux fois encore il est repoussé. Ses gardes, les gendarmes étaient décimés, son cheval blessé est tout couvert de sang ; il a reçu une contusion à la cuisse et deux balles dans sa cuirasse.

Cependant quelques vides se sont faits dans les rangs espagnols, les hommes semblent toujours impassibles et résolus ; mais la dernière décharge était moins nourrie ; le canon s’est tu ; les munitions manquent. On ne voit plus Fontaine sur sa chaise ; il est là gisant, la face en terre, le corps traversé par les balles ; Dieu a épargné au vieux soldat la suprême douleur de voir enfoncer cette infanterie qu’il croyait invincible. Les Français étant parvenus à relever trois ou quatre des pièces qu’ils ont reprises, le duc d’Anguien fait abattre à coups de canon un des angles de la forteresse vivante. D’autres bataillons ont été ramenés et prolongent notre ligne de feu. Gassion s’est rapproché avec ses escadrons ; les chevau-légers de La Ferlé, ralliés, menacent les tercios d’un autre côté. M. le Duc achevait ses dispositions pour ce quatrième assaut, lorsqu’on le prévint que plusieurs officiers espagnols sortaient des rangs en agitant leurs chapeaux comme s’ils demandaient quartier. Il s’avance pour recevoir leur parole ; mais soit malentendu, soit accident, plusieurs coups de feu partent, sont pris pour un signal et suivis d’une décharge à laquelle le prince échappa par miracle et qui « mit les nôtres en furie. » Cavaliers, fantassins, tous s’élancent ; la phalange est