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cavaliers le panache blanc du duc d’Anguien reparaissant à la place qu’occupaient tout à l’heure les escadrons d’Isembourg.

Rien ne peut rendre la surprise, l’émotion de tous, l’effet produit sur le soldat par l’apparition soudaine du duc d’Anguien sortant de cette mêlée furieuse, les cheveux épars, les yeux pleins d’éclairs, l’épée à la main. Ce n’est plus le jeune homme à l’aspect un peu délicat qui passait la veille devant le front des troupes ; il est transformé ; l’action l’a grandi ; son visage irrégulier est devenu superbe ; c’est le général obéi de tous ; c’est le premier soldat de l’armée ; c’est le dieu Mars[1].

Devinant en quelque sorte la pensée de son chef, cherchant à le seconder par son initiative intelligente, Sirot veut aussitôt tirer parti des courages ranimés. Il a reformé une ligne d’environ huit bataillons, qu’il porte en avant. Placés en premier échelon, les Italiens n’attendent pas le choc de cette infanterie, car ils sont déjà pris de flanc et culbutés par nos chevau-légers. Mais le tercio de Velandia, qui venait ensuite, « ne branle pas. » Chargé, fusillé, il perd tous ses mousquetaires sans se laisser rompre, et, maintenu par son chef expirant, il recule à petits pas jusqu’à ce qu’il s’adosse au gros de l’infanterie. Grâce à la fermeté de ce régiment, les Italiens furent moins maltraités que les autres nations et purent se retirer, mal en ordre, sur les bois au nord, laissant deux de leurs mestres de camp et bon nombre de soldats sans vie sur le terrain. Les Français ne peuvent reprendre que les douze pièces par eux perdues le matin, encore renversées et à peu près hors de service. Le canon espagnol continue de tirer ; son feu et les salves de la mousqueterie arrêtent le mouvement de la ligne française.

Isembourg reste quelque temps dans cette plaine qu’il avait un moment conquise et où il avait pendant plusieurs heures manœuvré et combattu avec autant d’habileté que de vaillance ; il essaie maintenant de rassembler ses escadrons, qu’il avait peut-être trop dispersés ; Vivera, un des lieutenans d’Albuquerque, est auprès de lui. De la droite, de la gauche, tous les cavaliers qui veulent ou peuvent encore se battre ont été conduits sur ce point par les incidens de la journée, mais ils sont enveloppés. Quand le vent de la fortune tourne, il ramène à celui qu’il favorise des secours inattendus ; beaucoup de chevau-légers des troupes de La Ferté reparaissaient, des escadrons qu’on croyait anéantis se reformaient. Entre les revenans de la défaite de la gauche et les vainqueurs de la droite

  1. « Je ne songe point à l’estat où je trouvay ce prince qu’il ne me semble voir un de ces tableaux où le peintre a fait un effort pour bien représenter un Mars dans la chaleur du combat. » (Bussy-Rabutin, Mémoires) siège de Mardick en 1646.)