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Le maréchal de L’Hôpital est d’avis qu’il faut tenter le secours de Rocroy, mais en évitant un engagement général. Les environs de la ville assiégée lui paraissent présenter un terrain favorable à la petite guerre ; autant il est difficile d’approcher de la place avec toute une armée, autant il est facile de pousser des partis jusqu’aux portes ; l’armée cependant prendra position sans entrer dans les bois, prête à recevoir l’ennemi si celui-ci veut franchir les défilés. Le maréchal voit un grand péril à tenter une aventure dont l’issue en ce moment peut être fatale. Chacun garde le silence ; personne, Gassion lui-même, n’ose conseiller la bataille. Le prince reprend la parole. Il démontre que l’opération restreinte ferait courir à l’armée tous les risques de la défaite sans aucune chance de victoire, et que tenter le secours, sans être résolu à livrer bataille, ne mènerait qu’à un désastre. Il faut aller chercher l’ennemi sous la muraille pour lui faire lâcher prise. Au reste, il ne s’agît pas de sauver Rocroy, mais de sauver l’état de France et la couronne du jeune roi.

Le langage du général en chef entraîne Gassion ; s’il n’a pas cru pouvoir émettre le premier un avis aussi hardi, il tient le parti pour bon. Il ajoute quelques détails topographiques sur les passages, sur les lieux en général ; puis il indique par quels procédés tactiques on peut atteindre le plateau et y prendre position. Sirot, la meilleure tête du conseil, Persan, homme d’action et ami personnel du prince, opinent comme Gassion. L’Hôpital persiste dans son sentiment ; les autres officiers l’appuient, ou se taisent. Le duc d’Anguien met fin à la conférence en donnant pour le lendemain l’ordre de marche, l’ordre de bataille et la distribution des commandemens. Ses instructions sont complètes et précises ; rien n’est omis, et « chacun, dit Sirot dans ses Mémoires, fut mis en pleine possession de ce qu’il devait faire. »


VII. — LES DEUX ARMÉES EN PRÉSENCE.

Le 18 mai, au jour, l’armée prit la direction de Rocroy. La revue d’effectif, passée la veille, avait donné un chiffre de vingt-trois mille combattans, dont quinze à seize mille hommes de pied, six à sept mille cavaliers, soit dix-huit bataillons et trente-deux escadrons. Les bagages restent à Aubenton ; les convois venant de la Champagne sont dirigés sur Aubigny. Vers huit heures du matin, la tête de colonne arrive au pied des versans boisés du plateau ; l’ennemi n’en a pas gardé les abords. Deux chemins mènent au sommet, l’un et l’autre médiocres ; à gauche, on trouvera plus de fondrières, à droite, des taillis moins clairs et des passages étroits, mais un sol ferme.