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de l’opinion. Est-ce qu’il y a une république où des ministres puissent se flatter d’être plus fiers que ceux qui, tour à tour, depuis lord Melbourne jusqu’à M. Gladstone, ont passé dans les conseils de la reine Victoria ? C’est, après tout, la moralité de ce livre sur la reine et le prince Albert, de montrer dans sa vérité familière et humaine une monarchie libérale, populaire, réalisant les progrès que d’autres régimes promettent, conciliant avec le respect des traditions la garantie des intérêts nouveaux, de l’honneur et de la dignité d’une grande nation. Avec cela l’Angleterre n’est pas sans doute à l’abri de toutes les crises, elle peut se tirer encore de ses difficultés extérieures ou intérieures, des affaires égyptiennes comme des affaires irlandaises.

L’Italie a bien, elle aussi, sa monarchie constitutionnelle, populaire, à laquelle elle est certainement attachée, qui reste sa principale force. La question pour elle est de ne pas compromettre cette monarchie par des agitations de partis à l’intérieur et par une fausse direction à l’extérieur, d’avoir en un mot une politique répondant à la situation, aux intérêts de l’Italie. Cette politique existe-t-elle, et le ministère Depretis, qui est depuis quelque temps déjà au pouvoir, qui semble même le seul possible pour le moment au-delà des Alpes, qui a une majorité assurée dans les chambres, ce ministère a-t-il donné jusqu’ici aux affaires italiennes la meilleure des directions ? C’est là justement ce qui vient d’être débattu dans une longue discussion parlementaire engagée sur une interpellation d’un membre de la gauche, soutenue à des points de vue différens par quelques uns des plus éminens orateurs, notamment par M. Mancini, qui est le ministre des affaires du jour, et par M. Minghetti, qui reste un des chefs de la droite.

Assurément cette discussion a été aussi complète que possible, et, même, à ne regarder que l’apparence, il n’y a pas, à ce qu’il semble, une divergence sensible entre les principaux orateurs. Le s uns et les autres, sauf les membres de la gauche la plus avancée, sont d’accord sur le danger de cette agitation qui s’appelle « l’irrédentisme, » qui n’a d’autre résultat que de mettre de perpétuels embarras dans les relations avec l’Autriche et, par suite, avec l’Allemagne. Les uns et les autres sont d’accord sur l’utilité qu’il y a pour l’Italie à nouer l’alliance la plus intime possible avec l’Allemagne et l’Autriche, à vivre eh cordiale intelligence avec l’Angleterre, et même à avoir de bons rapports avec la France. Au fond cependant, quand on en vient à la réalité, l’accord n’est pas aussi complet qu’on le dirait. Le dissentiment se fait jour, et le ministre des affaires étrangères du roi Humbert a eu particulièrement à se défendre au sujet du refus d’associer l’Italie à l’Angleterre dans l’expédition d’Egypte. M. Mancini n’a pas caché que, pour résister à la tentation, l’Italie avait eu à tenir compte de ses rapports avec les grands empires du Centre, de l’état de ses finances, des dispositions de l’opinion vivement prononcée contre