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perplexités. Il a vaincu et dispersé sans peine, sans grands sacrifices, une insurrection qui n’était sérieuse que de loin, parce qu’on lui avait laissé le temps de prendre une certaine apparence ; il en est aujourd’hui à organiser sa victoire, à vouloir créer une situation nouvelle, et là il s’est trouvé en face de complications imprévues dont il n’a point eu facilement raison. Essayer de reconstituer un ordre à peu près indépendant en Égypte sans le concours permanent d’une force efficace, sans une garantie européenne, c’est une entreprise chimérique dont les Anglais sont les premiers à douter, et le commissaire supérieur de la reine au Caire, lord Dufferin lui-même, en traçant dans un de ses rapports tout un plan de reconstitution, ne paraît pas croire beaucoup au succès de ses projets. Transformer par une annexion mal déguisée l’Égypte en une sorte d’état vassal, comme un état de l’Inde, sous le protectorat britannique, ce serait ce qui flatterait le plus l’orgueil national ; mais le ministère s’est toujours défendu devant l’Europe de toute idée d’annexion ou de protectorat exclusif, et, de plus, M. Gladstone s’exposerait sûrement à rencontrer une assez vive opposition dans son propre parti, qui voit déjà avec défiance les suites d’une politique d’intervention extérieure à la Beaconsfield. Le gouvernement anglais se trouve, par le fait, singulièrement embarrassé dans ses résolutions, ne voulant ni abandonner de nouveau l’Égypte à elle-même par le rappel prématuré de ses forces, ni prolonger indéfiniment une occupation compromettante. Peut-être se serait-il épargné bien des difficultés si, au lieu de tirer si aisément et si lestement parti de l’effacement auquel la France s’est réduite au début, il lui avait demandé ou il eût accepté d’elle une certaine coopération, un certain concours dans la réorganisation de l’Égypte pacifiée. Il a préféré effacer jusqu’à la dernière trace de la coopération française par la suppression du contrôle financier, jusque-là exercé en commun, par cet acte de prépotence qui a brusquement interrompu la négociation reprise sous noire dernier ministère, et il n’est pas beaucoup plus avancé. Il est seul aujourd’hui en Égypte, sans savoir ce qu’il y fera ou comment il en sortira.

L’Angleterre s’est assurément tirée de bien d’autres embarras, et elle triomphera de ceux qu’elle peut avoir aujourd’hui, comme elle a déjà triomphé de ceux qu’elle a eus dans d’autres circonstances. Pour faire face aux difficultés extérieures ou intérieures auxquelles une grande nation est sans cesse exposée, l’Angleterre a une supériorité. Elle a sur les empires absolus l’avantage de ses mœurs, de ses habitudes de liberté, d’une politique qui, par la discussion toujours ouverte, reste forcément la manifestation fidèle du sentiment public. Elle a sur les pays agités et mobiles qui changent de résolutions comme de gouvernement l’avantage de sa solidité éprouvée, de sa monarchie libérale et constitutionnelle si profondément identifiée avec les intérêts populaires. Elle a ses traditions ininterrompues, sa