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costumes et décors. Toute l’attention se porte sur l’instrumental, et, pendant que la symphonie décrit ses méandres, qu’elle s’enroule et se déroule comme un fleuve où se réfléchissent tous les accidens du rivage, les personnages naviguent au-dessus, balancés, ballottés, naufragés au gré du vent qui souille, des bassons, des hautbois, des trompettes et des trombones. Airs, duos et trios, tout ce qui servait à la passion de points de repère et représentait une sorte de moment psychologique passe désormais à l’état d’accessoire et quitte la place au récitatif, de plus en plus maître absolu de la situation.

Il est vrai que ces récitatifs, on condescend encore à les chanter, mais patience ! et vous verrez que bientôt il suffira de les déclamer avec accompagnement d’orchestre. Ce jour-là, une nouvelle esthétique de l’avenir sera fondée. L’ombre de Berlioz pourra tressaillir d’aise en son élysée, car il n’y a pas à dire, c’est de lui que nous vient le système. A chacun selon ses œuvres, et tâchons de ne pas confondre : à Richard Wagner, ses idées de réforme et sa caractéristique dramatique ; à Berlioz sa théorie de la prédominance instrumentale : la Symphonie fantastique avec ses commentaires obligés, celle de Roméo et Juliette avec ses prologues, intermèdes et épilogues parlés, sont le point de départ. Musicien hasardeux, incorrect et primesautier, Berlioz tira ses motifs de l’orchestre, les voix n’eurent pour lui qu’une importance secondaire ; de là ses insuccès au théâtre et les amertumes qu’il en ressentit. Les visées de Berlioz furent plutôt des visées de poète, il eut de colossales intentions, que Shakspeare et Goethe l’aidèrent à réaliser tant bien que mal ; puis, quand il voulut aborder le théâtre, la muse violentée, obsédée, tyrannisée par lui dans la symphonie, l’accueillit en lui criant : « Sois poète tant que tu voudras, mais tâche enfin d’être musicien ! »

C’est contre cet absolutisme littéraire que les nouveau-venus ont réagi ; ils ont été plus musiciens, plus forts en thème et leur virtuosité s’est tout entière portée sur la symphonie, dont Berlioz, avec ses épisodes et ses intermèdes dramatiques, avait démesurément élargi les proportions et qu’ils ont ramenée à sa vraie forme. Mais si la poésie a son exclusivisme, la science est une maîtresse également fort despotique, et de Charybde nous voici tombés en Scylla. Berlioz écrivait des symphonies à compartimens qui sont de véritables opéras, nous composons aujourd’hui des opéras qui sont des symphonies. « Qui donc criera : Vive la France ! » disait, en s’interposant au milieu des Bourguignons et des Armagnacs, le héros d’un drame du vieux Dumas. Qui nous donnera l’opéra moderne ? dirions-nous volontiers à notre tour, cet opéra bien tempéré, où tous les élémens s’équilibrent, où la science ne soit point là pour la science, ni la mélodie pour la mélodie, et qui nous renvoie pénétrés à fond du sentiment de cette vie organique partout répandue dans un chef-d’œuvre ? En quoi le Henry VIII de M.