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Mais ceux qui les décrient se plaignent surtout que les internes qui y reçoivent leur éducation y sont fort malheureux, qu’ils y gémissent dans une pénible servitude. Soumis à une règle dure, uniforme, à une discipline pédantesque et souvent puérile, entassés dans une maison où la place manque, réduits à prendre leurs récréations dans une cour où ils ont peine à se mouvoir, ils regardent le lycée comme une prison, ils comptant tristement les années et les mois qu’ils ont encore à y passer, et le jour où ils en sortent est pour eux un jour d’allégresse et de délivrance. — Voyez les Anglais ! nous dit-on. Qu’ils aient fait leurs études à Eton, à Harrow ou à Rugby, en est-il un seul qui n’aime à se souvenir de sa vie de collège ? — Nous n’aurions garde d’en disconvenir : en général, les Anglais se souviennent plus volontiers que nous de leur vie de collège. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’intéressant récit que vient de publier un ancien élève d’Eton, M. Brinsley-Richards, qui assurément n’est ni un barbare, ni un philistin, mais qui, n’étant pas non plus un philosophe idéaliste, comme M. Matthew Arnold, est plus disposé que lui à penser qu’il suffit à l’Angleterre de demeurer ce qu’elle est, pour être le premier pays du monde et le plus parfait de tous les royaumes possibles[1]. M.Brinsley est resté sept ans à Eton, il affirme que la voiture qui, par une douce après-midi de septembre, le conduisit à la maison de son tutor, c’est-à-dire à la pension où il devait loger, le déposa à la porte d’un paradis : « Soit qu’il sorte de l’esclavage d’une école privée ou qu’il ait secoué les douces chaînes du gouvernement maternel, l’enfant qui arrive à Eton sent pour la première fois ce que c’est que d’être libre. »

L’enfant qui entre à Eton n’a pas seulement la joie de se sentir libre ; n’eût-il que dix ans, il conquiert du même coup le droit de porter sur sa tête de bambin un chapeau de soie et de haute forme. M. Brinsley savoura si vivement ce plaisir qu’aujourd’hui encore, quand il achète un chapeau, il ne peut entendre le frou-frou de la coiffe de papier qui l’enveloppe sans éprouver une émotion délicieuse. Il croit revoir en imagination son premier chapeau, qui ajouta quarante-six centimètres à sa taille. Et puis, quelle bénédiction que d’avoir une chambre à soi et un mobilier tout frais, chaque élève d’Eton ayant droit à une nouvelle table à écrire, à un tapis neuf, à une nappe, à un buffet plein de vaisselle, à une théière en métal ! « Examiner curieusement ces trésors avec la douce certitude qu’ils sont à vous, contempler dans votre buffet votre ration hebdomadaire de thé et de sucre, qui semble inépuisable et dont vous disposez à votre fantaisie, s’entendre dire par une servante que vous ferez votre thé et votre déjeuner dans votre chambre ;

  1. Seven Years at Eton, by James Brinsley-Richards. Loadon, Richard Bentley and Son, 1883.