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la population des villes et 42 grammes pour la population des campagnes. Il est plus d’un chef-lieu de département où la consommation ne s’élève aujourd’hui même qu’à 123 grammes. Quant à la volaille, un Allemand qui parcourt la France au commencement du XVIIe siècle s’exprime ainsi dans son journal : « Si l’on consommait en un an dans les autres pays le même nombre de chapons, de poules et de poulets qu’on fait ici disparaître en un jour, il serait à craindre que l’espèce n’en pérît. » Enfin, l’usage du vin, dans les provinces méridionales, était presque universel ; celui du cidre dans les régions de l’Ouest, Normandie, Bretagne, Anjou. S’il fallait bien s’en passer et se réduire à l’eau quand la récolte avait été mauvaise, je ne sache pas qu’il en aille autrement encore aujourd’hui. De sorte que l’on ne peut même pas prétendre que l’ivrognerie date chez nous de la révolution.

Il convient d’ajouter quelques mots du vêtement. A en croire les inventaires, c’était évidemment par là que s’écoulait le superflu du paysan et surtout de la paysanne, dont la « braverie, » comme on disait alors, était déjà la grande passion. On ne peut pas douter que ce luxe de vêtemens ne soit quelquefois allé très loin sous l’ancien régime, puisque nous voyons au XVIe siècle des ordonnances royales défendre aux paysans de porter « pourpoints de soye, chausses bandées ou bouffées de soye, » et plus tard, au XVIIIe siècle, un cahier de village demander, entre autres vœux, que « défenses soient faites aux serviteurs et servantes de porter soye, argenterie, ni habits non convenables à leur état et condition. » Chemisette de drap ou de laine, quelquefois même « de peau de cerf à boutons d’argent ; » pourpoint de drap gris ou noir « rehaussé de galons » ou « garni de rubans ; » haut de chausses de même étoffe, manteau de bouracan « couleur musc ou rose sèche, » fraise ou collerette, chapeau noir, blanc ou gris : le costume que le paysan revêt aux jours de fête ne diffère pas, comme on le voit, beaucoup du costume de l’artisan où du bourgeois de la ville voisine. Il a aussi des souliers, mais il ne les porte guère, d’abord parce qu’ils le gênent, et ensuite pour ne pas les user trop vite. Arthur Young s’étonne beaucoup de les voir ainsi marcher pieds nus, leurs souliers à la main, sur les grandes routes ; s’il revenait parmi nous, il y retrouverait encore aujourd’hui les mêmes causes d’étonnement.

Le costume des femmes, cela va sans dire, est encore plus riche que celui de leurs maris. Sont-ce bien les « femelles dont parlait La Bruyère, demande à bon droit M. Babeau, cette manouvrière en cotte de serge rouge guipurée par le bas, avec ses brassières de drap musc, son devantier de damas à fond rouge, ses manches de damas blanc piqué, son tablier de gros de Tours ? » ou encore « cette fermière dont le corps de satin guipure est accompagné d’une jupe couleur de rose