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générale de l’univers qui dépasse les limites de la réalité observable. D’autre part, comme nous l’avons dit plus haut, le génie religieux des Américains consiste précisément à percevoir sous un angle spécial les théories philosophiques ou scientifiques, même les plus réfractaires en apparence-à toute tentative de construction métaphysique. C’est ce procédé de spiritualisation que M. O. -B. Frothingham décrivait en ces termes dans son discours d’ouverture à la troisième session de la Free religious Association : « Vogt et Buchner professent le matérialisme et démontrent l’intelligence. Huxley nous parle de protoplasme et nous frappe d’étonnement en présence de la pensée. Moleschott nous dit que la lumière est la source de la vie et amène nos fronts à s’incliner devant la lumière incréée. »

Nous ne savons si l’Amérique, comme l’affirment certains de ses écrivains, aura l’honneur de donner au monde une foi nouvelle. Mais qu’il s’agisse des cosmiens, des transcendantalistes ou des esprits qui prennent une position intermédiaire entre ces deux écoles, si nous nous arrêtons aux dernières phases du mouvement rationaliste que nous avons vu débuter par la révolte de l’unitarisme contre les dogmes de la prédestination et de la Trinité, nous trouvons partout, comme tendance affirmative, à côté du libre examen parvenu à ses dernières limites, le sentiment d’un Etre absolu et inconditionné qui se révèle dans la nature sous l’infinie diversité des phénomènes. Que l’objet de cette foi commune se nomme « l’Éternel Un » de M. Emerson, ou le « Cosmos » du professeur Fiske, le « Dieu de la science » de M. Abbot, ou le « Dieu de l’évolution » de M. Savage, « l’univers dans toutes ses possibilités » de M. Potter, ou « le Pouvoir qui est en dehors et au-dessus de nous » de M. Hinckley, voire « l’être qui est derrière toutes les apparences » de M. Adler : c’est, en résumé, le panthéisme qui coule à pleins bords dans les régions avancées de la pensée religieuse aux États-Unis, et ainsi se réalise la prédiction formulée par Tocqueville à une époque où la réforme unitaire, en pleine floraison, semblait indiquer plutôt une recrudescence de monothéisme : « Dans les temps démocratiques, l’idée de l’unité obsède l’esprit humain ; il la cherche de tous les côtés, et, quand il croit l’avoir trouvée, il s’étend volontiers dans son sein et s’y repose. Non-seulement il en vient à ne découvrir dans le monde qu’une création et un créateur ; cette première division le gêne encore, et il cherche volontiers à grandir et à simplifier sa pensée en renfermant Dieu et l’univers dans un seul tout. »


Cte GLOBET D’ALVIELLA.