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quiconque craint de trouver dans les progrès modernes de la science une cause d’affaiblissement pour tout ce qui fait la force et la grandeur de l’esprit humain.

Admise désormais jusque dans certaines chaires orthodoxes par des prédicateurs qui s’efforcent de l’accommoder aux exigences de la révélation, la théorie évolutioniste est devenue chez quelques unitaires l’essence même de la religion. Le Rév. Minot J. Savage, notamment, ministre d’une importante congrégation unitaire de Boston, s’en est fait l’éloquent et infatigable apôtre dans ses ouvrages, la Religion de l’évolution (1876), la Morale de l’évolution (1880), Croyance en Dieu (1881), et les membres de l’Association religieuse libre qui l’ont entendu, dans leur dernière session, discourir sur l’état de la morale contemporaine, ont assisté au bizarre spectacle de ce ministre chrétien soutenant contre un prétendu athée, M. Félix Adler, que la morale a pour fondement l’utilité sociale et pour origine l’expérience acquise par la race. A vrai dire, si M. Savage rejette toute idée d’une morale absolue et transcendante, il n’en admet pas moins qu’au milieu des variations humaines sur les règles de conduite, le principe d’une distinction entre le bien et le mal, ainsi que la signification de l’idée de devoir, représentent chez l’homme « quelque chose de constant et d’immuable comme un rocher au milieu des vagues. »

Du reste, M. Savage n’hésite pas à déclarer que le cosmisme forme un complément nécessaire du christianisme et une phase supérieure de l’évolution religieuse. « Toutes les religions, dit-il dans un sermon prononcé en 1880 devant sa congrégation, peuvent se ranger sous trois catégories : le culte des manifestations détachées de l’univers, le culte de l’idéal humain, enfin une troisième forme qu’on peut appeler scientifique ou cosmique. Cette dernière assigne pour objet à notre admiration, à notre révérence, à notre adoration, l’univers considéré comme un tout, l’unité, le mystère, le prodige, le pouvoir de ce grand Etre de qui nous dépendons. Je crois que la religion de l’avenir sera une combinaison de ces trois élémens ; elle s’assimilera les tendances artistiques du paganisme, l’idéal moral du christianisme, ainsi que cette conception plus large qui renferme les deux autres : le culte cosmique de l’univers. »

Sur certains points, — notamment quand il recherche les attributs que la science peut laisser à la Divinité, — le disciple d’Herbert Spencer prête à la philosophie de l’évolution certaines conséquences qui dépassent évidemment les intentions et la pensée du maître. Mais, d’une part, cette philosophie, tout en proscrivant la métaphysique, lui rouvre la porte, — ainsi que le lui ont reproché certains positivistes, — par sa prétention de formuler une loi