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de l’école aient proclamé la liberté la plus absolue des opinions. C’est même un phénomène assez étrange du mouvement religieux aux États-Unis que cette renaissance de la doctrine hégélienne, à l’heure où, en Allemagne, la mort du professeur Rosenkranz a fermé la dernière chaire vouée à l’hégélianisme pur. Tel a été le succès croissant de l’œuvre fondée par M. Alcott que les orthodoxes ont cru de voir lui susciter une concurrence, en fondant il y a deux ans sur les mêmes bases, à Greenwood, près de New-York, un « campement de philosophie chrétienne. »

Parmi les populations moins cultivées de l’Ouest, l’instabilité des croyances a pris naturellement une forme plus turbulente et plus agressive. Un membre de la Free religious Association rapportait, dans la session de 1881, qu’au Kansas on trouve, jusque dans les moindres localités, des groupes de libéraux, non-seulement étrangers à toute église (unchurched), mais encore ouvertement hostiles à toutes les formes existantes d’organisation religieuse. Dans la même séance, un autre orateur signalait, à propos du même état, l’existence de centaines de meetings en plein air, indépendant de toute secte, où accouraient « pour dire devant Dieu ce qu’ils ont dans l’âme et croient être la vérité, » des cultivateurs sortis de leur ferme, des hommes d’affaires délaissant leur cabinet, des femmes abandonnant les soins du ménage, tous « entraînés par une faim intérieure de nourriture spirituelle. » Ces deux renseignemens n’ont rien de contradictoire ; ils se complètent plutôt l’un l’autre ; ils indiquent au même titre la soif d’une foi nouvelle chez ceux que ne satisfont plus les anciennes formes religieuses. C’est, en quelque sorte, le dernier terme de la désintégration, de l’émiettement que l’esprit du protestantisme n’a cessé de poursuivre au sein des églises dogmatiques et des confessions de foi ; mais il se pourrait aussi que ce fût l’inévitable transition entre deux courans de croyances.

Rapprochée de cette fermentation intellectuelle, la tendance qui fait reléguer la théologie au second plan de l’activité religieuse jusque parmi certaines églises orthodoxes, et qui a trouvé son expression la plus complète dans le programme de la Free religious Association, pourrait bien être, à son tour, un symptôme de l’interrègne religieux depuis longtemps prédit par Emerson. Il est probable, et on doit s’en féliciter, que la religion conservera à l’avenir le caractère éminemment pratique et humanitaire qui la distingue de plus en plus aux États-Unis. Mais les hommes auront toujours une propension à se grouper suivant leurs croyances, et déjà l’on entend, jusque dans les rangs de la Free religious Association, prédire le jour où une nouvelle synthèse religieuse s’imposera par la seule force de l’évidence à tous les adeptes de la « religion libre. »

Est-il possible de pressentir dès aujourd’hui où se puiseront les