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et nous y aidons de notre mieux. S’il a des créances sur d’anciens corps ou établissemens civils ou religieux, quels qu’ils soient, pays d’états, congrégations, compagnies, instituts, hôpitaux, nous lui retirons son gage spécial, nous convertissons son titre en une rente sur l’État, nous associons bon gré mal gré sa fortune privée à la fortune publique, nous l’entraînons dans la banqueroute universelle vers laquelle nous conduisons tous les créanciers de la république[1]. — Au reste, pour le ruiner, nous avons des moyens plus directs et plus prompts. S’il est émigré, et il y a des émigrés par centaines de mille, nous confisquons ses biens ; s’il est guillotiné ou déporté, et il y a des guillotinés ou déportés par dizaines de mille, nous confisquons ses biens ; s’il est « reconnu ennemi de la révolution[2], » et « tous les riches font des vœux pour la contre-révolution[3], » nous séquestrons ses biens, nous en percevons l’usufruit jusqu’à la paix, nous en aurons la propriété après la guerre ; usufruit et propriété, en tous les cas, l’état hérite ; c’est tout, au plus si parfois nous accordons un secours momentané à la famille ; elle n’a pas même droit à des alimens.

Impossible de mieux déraciner les fortunes. Quant à celles que nous ne renversons pas d’un seul coup, nous les abattons par pièces, et contre elles nous avons deux haches. — D’un côté, nous décrétons en principe l’impôt progressif, et sur cette base nous établissons l’impôt forcé[4]. Nous séparons dans le revenu le nécessaire de l’excédent ; nous limitons le nécessaire à un millier de francs par tête ; selon que l’excédent est plus ou moins grand, nous en prenons le quart, le tiers, la moitié, et, passé 9,000 francs, le tout : au delà de sa mince réserve alimentaire, la plus opulente famille ne gardera que 4,500 francs de rente. — De l’autre côté, par les taxes révolutionnaires, nous tranchons à vif dans les capitaux ; nos comités et nos proconsuls de province en prélèvent arbitrairement ce qui

  1. Buchez et Roux, XXXU, 441. (Rapport de Cambon sur l’institution du grand livre de la dette publique, 15 août 1793.)
  2. Ibid., XXXI, 311. Rapport de Saint-Just, 26 février 1794, et décret conforme adopté à l’unanimité. Voir notamment article 2. — Moniteur, 12 ventôse an II (séance des Jacobins, discours de Collot d’Herbois). « La Convention a dit qu’il fallait que les détenus prouvassent qu’ils avaient été patriotes depuis le 1er  mai 1789. Lorsque les patriotes et les ennemis de la révolution seront parfaitement connus, alors les propriétés des premiers seront inviolables et sacrées, et celles des derniers seront confisquées au profit de la république. »
  3. Buchez et Roux, XXVI, 455 (séance des Jacobins, 10 mai 1793, discours de Robespierre.) — Ibid., XXXI, 393 (rapport de Saint-Just, 26 février 1794.) « Celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire. Celui-là seul a des droits dans notre patrie, qui a contribué à l’affranchir, »
  4. Buchez et Roux, XXXI, 93 et 130. (Discours de Robespierre sur la propriété, et déclaration des droits adoptée par la société des Jacobins.) — Décret du 3 septembre 1793 (articles 13 et 14).