Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les partisans de Locke, c’était la constatation dans l’esprit humain d’idées qui n’y sont pas introduites par l’expérience. Le néo-sensualisme de notre époque a déplacé le terrain de la controverse, en expliquant la présence de ces notions a priori chez l’individu par une transmission héréditaire des expériences accumulées dans le passé de la race. En même temps qu’il a ainsi battu en brèche l’autonomie de l’âme, il a remis en question, sinon l’intervention d’une cause première, qu’il relègue dans un passé hors d’atteinte, par la théorie de la conservation de l’énergie, — du moins la nécessité des causes finales, qu’il écarte par la loi de l’adaptation aux milieux et de la survivance des plus aptes. Sous cette forme rajeunie, il devait se répandre d’autant plus rapidement aux États-Unis qu’il y arrivait sous l’autorité des Darwin, des Tyndall et des Spencer.

On conçoit que cette revanche du sensualisme scientifique ne pouvait guère profiter aux anciens partisans du sensualisme théologique. Les transcendantalistes se rattachaient encore, dans une certaine mesure, à la tradition chrétienne. Emerson, dont les conservateurs contestaient le christianisme, faisait de Jésus le principal éducateur de l’humanité, et Parker, qu’on traitait d’athée, identifiait l’enseignement moral du Christ avec la religion absolue. La nouvelle école, au contraire, poursuivant jusqu’au bout son œuvre de destruction critique, dépouillait de toute auréole le fondateur du christianisme, qu’elle traitait sur un pied d’égalité avec Bouddha, Zoroastre, Moïse, Mahomet. A la fin de la guerre civile, l’unitarisme se trouvait donc plus que jamais partagé en deux fractions ; à gauche les libéraux, qui commençaient à accepter la dénomination de radicaux-, à droite, les conservateurs de la vieille école (old fashioned unitariam). Ceux-ci ne préconisaient peut-être plus avec autant d’énergie qu’autrefois les théories sociniennes sur la préexistence du Christ, mais ils continuaient à faire de la croyance en l’authenticité de la révélation la pierre angulaire du christianisme. Ceux-là, au contraire, soutenaient que la différence des opinions sur l’infaillibilité et même sur la valeur morale de la Bible n’était pas un obstacle à la fraternité religieuse.

En 1864, le docteur Bellows proposa de réunir les délégués de toutes les églises unitaires en une fédération permanente, pour donner plus d’unité à leurs œuvres de charité, d’instruction et de propagande. L’assemblée provisoire, composée de trois délégués par église et par association locale, se réunit à New-York dans les premiers jours d’août 1865. Mais les divergences reparurent lorsqu’il fallut arrêter les principes et le titre même de la nouvelle association. Finalement, après avoir repoussé une longue profession de foi rédigée au nom de l’extrême droite par M. A. Low, et adopté une déclaration portant que les décisions de principe n’engageaient pas la