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démonstration. Ainsi retranché dans les profondeurs de la conscience et dans les espaces de l’idéal, il trouvait aisément accès aux sources du mysticisme, qui, par un singulier phénomène chez un peuple aussi positif, ne semblent jamais taries dans l’esprit américain. Enfin, par sa doctrine de la raison impersonnelle, il rentrait dans la conception si profondément aryenne du Verbe néo-platonicien, que les unitaires avaient supprimée du christianisme pour s’en tenir au strict monothéisme des premiers évangélistes, et il se rapprochait par là des sectes mystiques fondées dans le protestantisme sur le principe de l’illumination intérieure, sauf qu’il étendait à tous les hommes le privilège de l’inspiration que ces sectes voulaient réserver aux adeptes d’une religion déterminée. — « Le transcendantalisme, a dit son principal historien dans la Nouvelle-Angleterre, M. O.-B. Frothingham, convenait bien mieux à un évangile qu’à une philosophie. Il possédait ce caractère d’indétermination et de mystère qui captive l’imagination et qui se prête tant à des actes de contemplation et de culte. La piété était un de ses traits distinctifs ; il aimait les hymnes, la musique, le langage inspiré, les états de prostration et d’humilité, les emblèmes, les symboles, l’expression d’une émotion inarticulée, le silence contemplatif, l’aspiration à la communion avec l’infini. »

Il s’en fallut pourtant que l’unitarisme entier se jetât dans les bras de l’idéalisme allemand. Les unitaires de la première génération, qui voulaient s’en tenir aux positions conquises sur l’orthodoxie, et, en général, tous ceux qui ne se sentaient pas troublés dans leur croyance au surnaturel de l’Écriture, regardaient les progrès de la nouvelle méthode avec plus de défiance que d’enthousiasme. Les uns prédisaient qu’il en sortirait de funestes déchiremens au sein de l’unitarisme, les autres que cette invasion de l’idéalisme amènerait, comme toujours, une réaction sceptique. Channing lui-même, qui avait tant insisté sur l’autorité, la grandeur, la divinité de l’âme humaine, n’en écrivait pas moins, dans les derniers temps de sa vie, au docteur J. Martineau, que les transcendantalistes lui paraissaient marcher « vers la substitution de l’inspiration individuelle au christianisme. » Il y avait alors à Boston un jeune ministre qui venait de quitter sa congrégation, par scrupule de conscience, pour ne pas administrer plus longtemps le sacrement de la communion. C’était Ralph Waldo Emerson, l’essayist qui a tenu pendant un tiers de siècle, de concert avec le poète Henry W. Longfellow, le sceptre de la littérature américaine. Dès son premier ouvrage, Nature, publié en 1836, il révéla ce vigoureux idéalisme qui l’a fait surnommer aux États-Unis le prince des transcendantalistes. A première vue, sa doctrine semble un simple rajeunissement de la philosophie néoplatonicienne. Dans la nature, il ne voit qu’un