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raison. « C’est au tribunal de la raison, disait-il formellement, que Dieu laisse le soin de décider la vérité de la révélation. » Partant de ce principe, il répudiait les dogmes favoris du calvinisme pour réduire les enseignemens essentiels de l’Écriture à l’unité de Dieu, à l’immortalité de l’âme, à la mission régénératrice de Jésus, à la perfection morale et au gouvernement paternel du Créateur. Enfin, après un éloquent tableau des vertus chrétiennes, il soutenait que le vrai christianisme consistait bien plus dans la pratique de ces vertus que dans l’adhésion à un Credo quelconque. « A tous ceux qui m’écoutent, concluait-il, je dirai avec l’apôtre : Éprouvez toutes choses, attachez-vous à ce qui est bon. — Ne reculez pas mes frères, par crainte de la censure et de la dénonciation des hommes, devant le devoir d’examiner vous-même la parole de Dieu. N’allez pas croire que vous puissiez impunément adopter sans examen les opinions généralement admises autour de vous, par le motif que le christianisme est maintenant tellement purifié d’erreurs qu’il n’exige plus de pénibles recherches… Il reste encore beaucoup de chaume à brûler, beaucoup d’impuretés à enlever, beaucoup de brillantes décorations, dont un faux goût a couvert le christianisme, à faire disparaître ; il faut dissiper les brouillards de la terre qui l’ont si longtemps enveloppé comme d’un linceul pour que ce divin édifice puisse s’élever devant nous dans sa majesté véritable et imposante, avec ses proportions pleines d’harmonie, sa splendeur douce et céleste. Cette glorieuse reforme dans l’église, nous l’attendons, avec l’aide de Dieu, du progrès de l’esprit humain, du progrès moral de la société, de la diminution des préjugés et du bigotisme qui en sera la conséquence, et enfin, ce qui n’est pas le moins important, du renversement de l’autorité humaine en matière religieuse, de la chute des hiérarchies et des autres institutions humaines qui oppriment sous le poids des nombres les esprits des individus et perpétuent une domination papale dans l’église protestante. » On a dit avec raison que ce discours marquait une époque dans l’histoire religieuse de la société moderne. Sans doute, on avait vu ailleurs des chrétiens proclamer la nécessité de mettre la foi d’accord avec les progrès de la raison ; mais jamais, depuis la fondation du christianisme, chef d’église n’avait répudié aussi hautement toute intolérance sectaire, déclaré aussi ouvertement la guerre à toute forme d’orthodoxie. Calvin avait mis, — ou replacé, — la démocratie dans le christianisme ; Channing y introduisait la liberté.

Depuis l’origine, la Nouvelle-Angleterre n’avait généralement eu qu’un temple et un pasteur par commune. Dès ce moment, les anciennes congrégations se dédoublèrent de toutes parts. Boston, qui s’affirmait depuis longtemps déjà comme la capitale intellectuelle