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essentielles et les parties accessoires du livre sacré, en fixant, suivant les besoins de la cause, la limite arbitraire de ces deux domaines ; puis, après avoir cherché dans les testes des protestations contre leur propre infaillibilité, on en arrive à contester la possibilité même d’une révélation spéciale, — tant qu’enfin on se trouva devant les catégories de la religion naturelle, irréductibles à l’analyse scientifique : la cause première, l’immortalité de l’être et le caractère impératif du devoir, ou encore l’inconnaissable d’Herbert Spencer. — Cette œuvre de désintégration dogmatique peut s’observer dans toutes les confessions fondées sur l’autorité de textes traditionnels ; mais nulle part elle ne s’est poursuivie d’une façon plus continue et plus logique que parmi les congrégations de la Nouvelle-Angleterre.

Les premiers émigrans professaient dans toute son intégrité la doctrine de Calvin sur le péché originel, sur la grâce et sur la prédestination. Mais ce sombre fatalisme où l’homme, incapable par lui-même de s’élever au bien, se trouve désigné d’avance, par l’arbitraire de son Créateur, au salut ou à la damnation, choquait trop les sentimens les plus élémentaires de justice « t de générosité pour ne pas provoquer, en Amérique comme en Europe, une réaction conforme aux exigences de la liberté et de la responsabilité humaines. La troisième génération des puritains n’avait pas disparu que le dogme de la prédestination se trouvait aux prises avec son vieil ennemi, l’arminianisme, sous une forme plus ou moins déguisée. L’arminianisme une fois dans la place, le socinianisme n’était plus loin. Le président John Adams disait à la fin de sa carrière que, dès 1750, nombre de pasteurs et de laïques étaient plus ou moins gagnés à l’unitarisme. Toutefois les progrès de cette évolution ne se firent d’abord sentir que par le silence gardé autour des dogmes contestés. Peut-être les libéraux étaient-ils effrayés de leur propre audace ou ne se rendaient-ils pas un compte exact de leurs croyances. Même à la fin du siècle, alors que d’autres sectes de création récente, les universalistes, — les « chrétiens, » — avaient ouvertement répudié le dogme de la trinité, les calvinistes avancés repoussaient encore la qualification d’unitaires, soutenant même la nécessité de rester dans le vague sur tous les points de doctrine tels que la prédestination, l’éternité des peines, la divinité du Christ où la Bible ne s’exprimait pas en termes clairs et formels. « Les expressions de la Bible sont seules aptes à formuler les mystères bibliques : » telle était la réponse qu’ils opposaient invariablement à leurs adversaires lorsque ceux-ci les sommaient de préciser leurs croyances. Ainsi, par une étrange interversion des rôles, c’étaient les rationalistes qui voulaient s’en tenir étroitement à la lettre de la révélation, tandis que les orthodoxes préconisaient le droit et le devoir d’en approfondir le sens et d’en développer les