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voisins de Pretragalla sans avoir eu à brûler une amorce. Depuis le siège de Jéricho, de biblique mémoire, jamais sonneries de trompettes n’avaient produit à la guerre un effet aussi merveilleux.

Les jours suivans des troupes arrivèrent de Naples et se joignirent aux gardes nationales de la contrée. On cerna les bois où s’étaient réfugiées les bandes, réduites désormais à cinq ou six cents hommes, et on se prépara à les fouiller minutieusement. Cependant la discorde était complète entre ceux qui avaient conduit l’entreprise. Crocco et les autres chefs de bandes reprochaient à Borgès de les avoir menés à leur perte. Le vaillant Espagnol les traitait de voleurs et de couards ; il désespérait d’une cause qui ne trouvait que de pareils défenseurs. Pourtant, dans la situation sans issue où l’on se voyait, il parvint à les entraîner à une suprême tentative sur Pescopagano. Elle eut lieu le 28 novembre et fut encore plus désastreuse que celle de Pietragalla. Il n’y eut même pas à proprement parler de combat ; dès les premiers coups de fusil la déroute des brigands fut complète ; ils coururent au plus vite se cacher de nouveau dans les bois.

Le soir même une idée infernale surgit dans l’esprit de Donatello Crocco. Puisque tout espoir de succès était perdu, puisqu’il n’y avait plus moyen de piller les libéraux de la Basilicate, avant de chercher à regagner en se coulant sous bois ses repaires du Vulture, il y avait du moins un bon coup à faire en dévalisant les étrangers que le roi avait envoyés pour les commander. Borgès et ses compagnons étaient porteurs de sommes assez fortes en or dont on les avait munis en les faisant partir pour subvenir aux premières dépenses ! de l’expédition. Ils les avaient ménagées autant qu’ils avaient pu et les bandits dont ils avaient dû faire leurs soldats savaient qu’une bonne part en restait intacte. Brisés de fatigue, les quelques aventuriers carlistes dormaient. On se jeta sur eux pendant leur sommeil, on les dépouilla de leur argent, de leurs effets et de leurs armes, et on les chassa devant soi sans ressources dans un pays dont ils parlaient à peine la langue et où ils étaient partout traqués. Crocco espérait qu’en se mettant à leur poursuite les troupes le laisseraient plus facilement échapper.

Borgès n’eut plus dès lors qu’une seule pensée, gagner Rome et s’y présenter devant François II ; une fois là dire enfin toute la vérité à ce roi dont il n’avait pu servir efficacement la cause d’une autre manière, lui montrer à quel point on le trompait, et le détourner d’envoyer après lui d’autres braves gens chercher la mort dans une entreprise impossible. Avec trois compagnons fidèles, déguisés en paysans, il se mit en route vers les montagnes des Abruzzes par où il espérait gagner plus facilement la frontière pontificale. On marchait de nuit, autant que possible par les forêts ou la crête de