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Le métier était bon. Suivant l’exemple mémorable et classique que Fra Diavolo et Mammone, devenus colonels de l’armée royale par la grâce du cardinal Ruffo, avaient légué à leurs successeurs, tous se masquaient en fidèles du roi détrôné. Jamais, dans le royaume de Naples, on n’a vu le brigandage arborer une bannière politique autre que celle de la réaction, contre la république en 1799, contre Joseph Bonaparte et Murât de 1806 à 1814, contre la royauté constitutionnelle de la maison de Savoie après 1860. Mais pour quiconque connaît les conditions du pays, il est facile de comprendre comment, du moment qu’on se faisait brigand, l’avantage professionnel était de se déclarer bourbonien, et non pas libéral. Dans les provinces tous les gens éclairés, la noblesse en général, c’est-à-dire la majorité des propriétaires, des gens riches, appartenaient an parti libéral, avaient embrassé avec ardeur la cause de l’unité italienne. C’étaient ceux dont les fermes étaient bonnes à piller, les personnes à entraîner dans les montagnes pour ne les relâcher que contre une grosse rançon. Ce n’est pas à dire que, lorsque les bandits mettaient la main sur un homme connu par sa fortune et qui ne se mêlait pas de politique, ils se fissent faute de l’enlever, de lui couper le nez ou les oreilles pour stimuler le zèle de sa famille quand la rançon se faisait trop attendre, enfin de l’égorger, si elle ne venait pas. Tout en ayant ainsi les bénéfices du métier, les brigands touchaient, à titre d’insurgés, les subsides des comités légitimistes de l’étranger, qui persistaient à les regarder comme des chevaliers du droit calomniés par la presse piémontaise.

Ces comités étaient de bonne foi ; on l’était aussi dans l’entourage de François II retiré à Rome, quand on croyait aux protestations de fidélité des chefs de bandes, et on comptait sur une prompte restauration due à leur vaillance. Cependant on commençait à trouver que cette restauration tardait plus qu’on n’avait cru, que les bandes n’arrivaient à aucun résultat qui en valût la peine. On jugea indispensable de grouper leurs efforts ; on crut le moment venu de frapper un grand coup. Les intrigans affluaient au palais Farnèse, affirmant que la population de l’ancien royaume napolitain tout entière frémissait sous le joug étranger, et qu’indubitablement la levée de la première conscription ordonnée par le gouvernement de Turin donnerait le signal d’une insurrection générale. Mais il fallait quelqu’un pour prendre en main le commandement de cette insurrection, quelqu’un dont le royalisme fût assez sûr, la bravoure et la capacité militaire à la hauteur de la tâche. François II ne trouva point cet homme parmi les anciens officiers de son armée ; il le chercha dans José Borgès.

C’était un Catalan qui avait été l’un des plus brillans chefs du carlisme espagnol. Ame ardente et pleine de foi, caractère chevaleresque,